Le cargo CSCL Venus de la compagnie maritime chinoise : Buonasera, [https://goo.gl/mCTZNb](https://goo.gl/mCTZNb), sous licence CC BY-SA 3.0.

Chapitre 2 Quels sont les fondements du commerce international et de l’internationalisation de la production ?

2.1 Sensibilisation 

En décembre 1899, le bateau à vapeur Manila, en provenance d’Inde, s’arrima au port de Gênes en Italie et y déchargea sa cargaison de céréales.

Le canal de Suez avait ouvert trente ans plus tôt, réduisant considérablement les coûts d’importation des produits de base agricoles en provenance d’Asie du Sud pour les marchés européens. Les boulangers et les clients italiens étaient ravis de ces importations à faible coût qui induisaient une baisse de prix. Les agriculteurs italiens, eux, ne l’étaient pas. Si les boulangers de Gênes et leurs clients avaient appris que des céréales bon marché étaient disponibles à bord du Manila, ils auraient acclamé l’entrée du bateau dans le port, tandis que les fermiers locaux auraient secrètement prié pour que le bateau coule.

Illustration 2.1 Canal de Suez (vers 1890–1910).

Division des gravures et des photographies de la librairie du Congrès, Washington (district de Columbia), États-Unis. Note : la photo montre le navire Golconda, inauguré en 1887, entrant dans le canal depuis la mer Rouge.

En Europe, les États ont peiné à s’adapter à la baisse du prix des céréales.

droit de douane
Une taxe sur un bien importé dans un pays.
importations
Biens et services produits dans le reste du monde et achetés par les ménages, les entreprises et l’État d’un pays donné.

En France et en Allemagne, les agriculteurs et leurs défenseurs l’ont emporté. Malgré l’intérêt que représentait la baisse du prix des céréales pour la population et pour d’autres producteurs (les boulangers, les éleveurs qui nourrissent leurs bêtes avec des céréales), des droits de douane (des taxes sur les importations) ont été instaurés pour protéger les revenus des céréaliers.

consommations intermédiaires
Biens et services détruits ou transformés lors du processus de production.

Le Danemark, parmi d’autres pays, a apporté une réponse bien différente. Le gouvernement danois a choisi d’aider les agriculteurs à passer d’une production céréalière à un élevage laitier, plutôt que de les protéger contre les importations de céréales peu onéreuses. Les éleveurs ont utilisé les céréales importées à faible coût comme consommations intermédiaires pour produire du lait, des fromages et d’autres marchandises qu’il n’était pas possible de transporter à bas coût sur de longues distances. La population a ainsi pu à la fois profiter d’une baisse du prix des céréales et augmenter sa consommation de produits laitiers.

intensif en capital
Se dit de l’utilisation d’une plus grande quantité de capital (par exemple, les machines et équipements) par rapport au travail et aux autres facteurs de production. Voir également : intensif en travail.
productivité
Quantité produite divisée par la quantité d’un facteur de production qui l’a permise. Par exemple, la productivité du travail par tête se mesure en divisant la quantité produite par le nombre de salariés ; la productivité horaire du travail se mesure en divisant la quantité produite par le nombre d’heures travaillées (lui-même évalué par le produit du nombre de salariés par la durée du travail).

La baisse des prix des céréales a été rendue possible par des progrès techniques (Cf. Chapitre 1). Ceux-ci (par exemple, l’invention de la machine à vapeur) ont permis une révolution dans les moyens de transport : l’ouverture du canal de Suez, l’extension du système ferroviaire vers les champs d’Amérique du Nord, la plaine de Russie et le nord de l’Inde, ainsi que l’essor du transport par bateaux à vapeur, comme le Manila, ont réduit les coûts de transport des céréales vers des marchés lointains. Les progrès techniques ont été aussi massifs dans l’agriculture : par exemple, de nouvelles variétés de blé, de nouvelles moissonneuses et semeuses, ainsi que des techniques d’irrigation améliorées ont permis de créer, à travers les vastes plaines du Midwest américain, une agriculture de pointe, intensive en capital, très productive.

exportations
Biens et services produits dans un pays et achetés par les pays du reste du monde.

La plupart de ces changements se justifiaient d’un point de vue économique : les céréales pouvaient désormais être cultivées dans les lieux où l’agriculture était la plus productive, donc la moins coûteuse, et exportées dans le reste du monde. Face à cette concurrence, les pays dont l’agriculture était moins productive ont subi des pertes d’emploi dans le secteur agricole, mais les individus dont les emplois disparaissaient pouvaient se reconvertir dans des industries alors en plein essor. Par exemple, en Italie, les enfants de certains agriculteurs ont commencé à travailler dans l’industrie du textile, qui exportait vers le reste du monde.

réallocation de main-d’œuvre
Un déplacement et une reconversion de la main-d’œuvre d’un secteur à un autre.

Cependant, les droits de douane conçus pour protéger les céréaliers allemands et français ont retardé cette réallocation de main-d’œuvre depuis le secteur agricole vers le secteur industriel.

échanges commerciaux
Flux croisés d’exportations et d’importations.

La baisse du prix des céréales a ainsi fait des gagnants et des perdants. La ligne de fracture n’opposait pas les riches et les pauvres, les propriétaires terriens et les métayers (qui louent et exploitent des terres) ou les employeurs et les salariés. Le conflit opposait les producteurs des biens manufacturés qui ont accueilli positivement l’accroissement des échanges commerciaux de céréales avec les États-Unis aux agriculteurs qui produisaient des céréales : les premiers bénéficiaient de la réallocation de main-d’œuvre en provenance du secteur agricole et pouvaient faire pression à la baisse sur les salaires du fait des gains de pouvoir d’achat que permettait la baisse du prix des céréales ; les seconds subissaient la concurrence de céréales importées à bas prix.

Après quelques mois passés à Gênes, le Manila fit route vers l’ouest. Il transportait 69 personnes dans ses entreponts (l’espace du bateau où sont logés ceux qui ont payé le prix le plus faible pour leur voyage) ; elles abandonnaient leur terre natale en quête d’une vie meilleure aux États-Unis.

Environ 750 000 Européens ont fait ce voyage chaque année au cours de la décennie suivant l’accostage du Manila à Gênes. De nombreux agriculteurs ayant fait faillite ont émigré aux États-Unis. Ils dormaient sur les ponts de cargos vides qui avaient transporté des céréales en Europe et faisaient route vers les États-Unis pour embarquer une nouvelle cargaison. Certains des petits-enfants de ces migrants sont eux-mêmes devenus cultivateurs de céréales dans le Kansas.

mondialisation
Processus par lequel les économies du monde entier sont de plus en plus intégrées les unes aux autres, par le biais de frontières nationales plus perméables aux flux de biens, de services, de capitaux et, dans une moindre mesure, de main-d’œuvre. Le terme est parfois utilisé dans un sens plus large et englobe la diffusion des idées, des traits culturels, voire d’épidémies.

Le terme de mondialisation est communément utilisé pour décrire la tendance à un degré accru d’interconnexion entre les économies.

internationalisation de la production
Processus par lequel de plus en plus de produits intègrent de la valeur ajoutée dans des pays différents. Voir également : internationalisation de la chaîne de valeur.

Cette notion renvoie non seulement au commerce des céréales et aux migrations de part et d’autre des frontières illustrés par le Manila, mais également à l’internationalisation de la production des entreprises. Par exemple, en 2014, l’entreprise Ford Motor avait des bureaux et usines dans 22 pays en dehors des États-Unis. Le Graphique 2.1 montre que sur les presque 201 000 salariés de cette entreprise « américaine », plus de 144 000 vivaient en dehors des États-Unis.

Graphique 2.1 Nombre de salariés de l’entreprise Ford à travers le monde en 2014.

Ford Motor Company.

Cette entreprise a commencé à internationaliser sa production un an après sa création, d’abord en 1904 au Canada, puis a rapidement produit dans de nombreux autres pays les années suivantes, par exemple en Australie (1925) et même en Union soviétique (1930).

Exercice 2.1 Questions sur la sensibilisation

  1. Quelles sont les deux révolutions à l’origine de l’essor du commerce international et de la baisse du prix des céréales ?
  2. Quels sont les avantages tirés de la baisse du prix des céréales pour les consommateurs européens ?
  3. Pourquoi assiste-t-on à une augmentation des inégalités de revenus entre producteurs en Europe ?
  4. Quels sont les intérêts de la réponse danoise à la concurrence des céréales à bas prix ?
  5. En quoi les réponses française et allemande diffèrent-elles de la réponse danoise ? Quels sont les problèmes de long terme induits par ces réponses ?
dotations factorielles
Quantités de facteurs de production (travail, capital et terres) disponibles dans une économie.
dotations technologiques
Techniques de production et innovations disponibles dans une économie.
avantage comparatif
Un producteur ou un pays détient un avantage comparatif si le coût relatif d’un produit A par rapport à un produit B est inférieur au coût relatif du produit A par rapport au produit B pour un autre producteur ou dans un autre pays. Voir également : avantage absolu.
échanges commerciaux
Flux croisés d’exportations et d’importations.
spécialisation internationale
Processus par lequel chaque pays choisit de consacrer ses ressources productives à une activité pour laquelle il dispose d’un avantage absolu (Adam Smith) ou comparatif (David Ricardo) et d’abandonner les autres activités.
différenciation des produits
Stratégie d’une entreprise consistant à doter son produit de caractéristiques spécifiques, voire uniques, afin de ne pas le placer en concurrence directe avec des produits de même type. Voir également : différenciation horizontale, différenciation verticale.
qualité des produits
Caractéristiques des produits qui les rendent meilleurs que les autres.
fragmentation de la chaîne de valeur
Les étapes qui mènent de la conception à la commercialisation d’un produit sont réparties entre plusieurs pays selon les avantages qu’ils offrent. La fragmentation de la chaîne de valeur est simple lorsqu’il n’y a qu’un seul passage de frontière et complexe lorsqu’il y a au moins deux passages de frontières.
productivité des firmes
Rapport entre la valeur ajoutée des firmes et le volume des facteurs de production qu’elles mobilisent pour produire.
compétitivité
Aptitude à faire face à la concurrence. Il est question de compétitivité-prix quand elle est fondée sur la capacité à offrir des prix plus faibles que ceux des concurrents. La compétitivité est qualifiée de hors-prix quand elle est fondée sur la qualité et la différenciation des produits, sur l’innovation.
compétitivité
Aptitude des entreprises à faire face à la concurrence et par conséquent la capacité d’un pays à exporter. Voir également : compétitivité-prix, compétitivité hors-prix.
chaîne de valeur
Ensemble des étapes qui mènent de la conception à la commercialisation d’un produit. Ces étapes concernent des étapes précédant la production (recherche-développement, conception, achats), la production et l’assemblage et des étapes suivant la production (transport, marketing, services). Voir également : fragmentation de la chaîne de valeur.
commerce international
Échanges de biens et de services commerciaux entre pays différents. Connu également sous le terme : échanges commerciaux.
libre-échange
Mesures mises en place par un gouvernement pour favoriser les échanges commerciaux internationaux. Il s’agit surtout de démanteler des barrières protectionnistes et de développer des accords de libre-échange.
protectionnisme
Mesures mises en place par un gouvernement pour limiter les échanges commerciaux, en particulier pour réduire les quantités importées dans l’économie. Ces mesures sont conçues pour protéger les industries locales de la concurrence extérieure. Elles peuvent prendre différentes formes, comme des taxes sur les biens importés ou des quotas sur les importations.
Objectifs d’apprentissage (programme) Plan du chapitre
Comprendre le rôle des dotations factorielles et technologiques (avantages comparatifs) dans les échanges commerciaux et la spécialisation internationale. Comprendre le commerce entre pays comparables (différenciation des produits, qualité des produits, et fragmentation de la chaîne de valeur). Section 2.2 : Quels sont les déterminants des échanges internationaux ?
Comprendre que la productivité des firmes sous-tend la compétitivité d’un pays, c’est-à-dire son aptitude à exporter. Comprendre l’internationalisation de la chaîne de valeur et savoir l’illustrer. Section 2.3 : Quels sont les déterminants de la compétitivité ?
Comprendre les effets induits par le commerce international : gains moyens en termes de baisse de prix, réduction des inégalités entre pays, accroissement des inégalités de revenus au sein de chaque pays ; comprendre les termes du débat entre libre-échange et protectionnisme. Section 2.4 : Quels sont les effets du commerce international qui, pour une part, posent les termes du débat entre libre-échange et protectionnisme ?

Tableau 2.1 Objectifs d’apprentissage et plan du chapitre.

2.2 Quels sont les déterminants des échanges internationaux ?

Le commerce de biens, parfois appelé commerce de marchandises, existe depuis des millénaires, bien que le type de biens échangés et les distances parcourues aient considérablement évolué au fil du temps. Des échanges de cette nature concernent les produits qui sont physiquement transportés à travers les frontières par la route, le train, l’eau ou les airs.

Le commerce de services est un phénomène plus récent. Les services qui sont le plus souvent échangés entre pays sont le tourisme, les services financiers, les services éducatifs (par exemple, des personnes viennent du monde entier pour étudier dans les universités américaines ou européennes) ou des services liés aux logiciels informatiques. Mais le commerce des marchandises reste bien plus important que celui des services, qui sont par nature plus locaux : à moins d’être une rock star, vous allez chez votre coiffeur du coin plutôt qu’à New York pour votre coupe de cheveux !

Comment pouvons-nous mesurer l’étendue de la mondialisation des biens et services ?

Une approche consisterait à simplement mesurer le volume des échanges d’un pays, d’une région ou du monde dans son ensemble au cours du temps. Si une augmentation est observée, nous pouvons en conclure que le pays, la région, voire le monde, sont de plus en plus mondialisés.

exportations
Biens et services produits dans un pays et achetés par les pays du reste du monde.
PIB réel
Il évalue la quantité produite au sein d’une économie, indépendamment de la variation des prix. Connu également sous le terme : PIB en volume.

L’évolution de la part des importations ou des exportations ou du commerce total (importations plus exportations) dans le PIB est un indicateur courant de la mondialisation. Le Graphique 2.2 représente les exportations de marchandises (ce qui exclut les services) à l’échelle mondiale, exprimées en pourcentage du PIB mondial entre 1820 et 2011.

Graphique 2.2 Exportations mondiales de marchandises en pourcentage du PIB mondial (1820–2011).

(1) Appendix I in Angus Maddison. 1995. Monitoring the World Economy, 1820–1992. Washington, DC : Development Centre of the Organization for Economic Co-operation and Development; (2) Table F-5 in Angus Maddison. 2001. The World Economy: A Millennial Perspective (Development Centre Studies). Paris : Organization for Economic Co-operation and Development; (3) World Trade Organization. 2013.  World Trade Report. Geneva: WTO ; (4) International Monetary Fund. 2014.  World Economic Outlook Database: October 2014.

Question 2.1 Choisissez les bonnes réponses

Sur la première période (1820–1929) :

  • Les exportations de marchandises représentaient 1 % du PIB mondial en 1820 et 8 % du PIB mondial en 1929.
  • Les exportations de marchandises ont augmenté de 700 % de 1820 à 1929.
  • La part des exportations de marchandises dans le PIB mondial a été multipliée par 8 de 1820 à 1929.
  • La part des exportations de marchandises dans le PIB mondial a augmenté de 7 % de 1820 à 1929.
  • Les exportations mondiales sont exprimées en pourcentage du PIB mondial.
  • C’est la part des exportations dans le PIB mondial qui a augmenté de 700 %.
  • La part a été multipliée par (8/1) = 8 de 1820 à 1929.
  • La part des exportations de marchandises dans le PIB mondial a augmenté de 7 points de 1820 à 1929.

Question 2.2 Choisissez les bonnes réponses

Sur la deuxième période (1929–45) :

  • La part des exportations mondiales de marchandises dans le PIB mondial a ralenti d’environ 3 points.
  • La part des exportations de marchandises dans le PIB mondial a baissé de 37,5 % de 1929 à 1945.
  • La part des exportations de marchandises dans le PIB mondial a été divisée par 1,6 de 1929 à 1945.
  • Les exportations de marchandises dans le PIB mondial ont baissé de 3 points de 1929 à 1945.
  • La part a baissé de 3 points.
  • La part des exportations de marchandises dans le PIB mondial a baissé de [(5-8)/8] × 100 = - 37,5 %.
  • La part a été divisée par (8/5) = 1,6 de 1929 à 1945.
  • C’est la part des exportations de marchandises dans le PIB mondial qui a baissé de 3 points.

Question 2.3 Choisissez les bonnes réponses

Sur la dernière période (1945–2011) :

  • La part des exportations mondiales de marchandises dans le PIB mondial a été multipliée par 2,8 de 1945 à 1990 et par 1,9 de 1990 à 2011.
  • La part des exportations de marchandises dans le PIB mondial a augmenté de 21 % de 1945 à 2011.
  • La part des exportations de marchandises dans le PIB mondial en 2011 représente 420 % de cette même part en 1945.
  • Base 100 en 1945, l’indice de la part des exportations de marchandises dans le PIB mondial est de 520 en 2011, ce qui signifie que cette part a été multipliée par 5,2.
  • La part des exportations de marchandises dans le PIB mondial a été multipliée par (14/5) = 2,8 de 1945 à 1990 et par (26/14) = 1,9 de 1990 à 2011.
  • La part des exportations de marchandises dans le PIB mondial a augmenté de [(26-5)/5] × 100 = 420 % de 1945 à 2011.
  • La part des exportations de marchandises dans le PIB mondial en 2011 représente (26/5) × 100 = 520 % de cette même part en 1945.
  • L’indice est de (26/5) × 100 = 520, soit un coefficient multiplicateur de (520/100) = 5,2.
Grande Dépression
La période de forte baisse de la production et de l’emploi dans beaucoup de pays dans les années 1930.
Première et Seconde Mondialisations
Deux périodes lors desquelles l’internationalisation des échanges s’intensifie : la Première Mondialisation s’étend des années antérieures à 1870 jusqu’au déclenchement de la Première Guerre mondiale en 1914 et la Seconde Mondialisation s’étend de la fin de la Seconde Guerre mondiale jusqu’au 19e siècle. Voir également : mondialisation.

Les données sur les exportations de marchandises indiquent d’importantes ruptures au cours des 150 dernières années. À long terme, la tendance est à la hausse, avec une accélération importante des exportations mondiales de marchandises depuis les années 1990. Cependant, cette tendance fut interrompue entre 1914 et 1945, période au cours de laquelle se déroulèrent les deux guerres mondiales et la Grande Dépression. L’internationalisation des échanges qui avait débuté au 19e siècle fut donc brièvement interrompue, avant de reprendre après la Seconde Guerre mondiale. Ces deux périodes d’internationalisation des échanges sont appelées Première et Seconde Mondialisations.

En somme, l’internationalisation des échanges a considérablement progressé depuis le 19e siècle, malgré une brève période de « démondialisation » entre les deux guerres mondiales. Comment expliquer cette internationalisation des échanges ? Quels intérêts les pays qui échangent y trouvent-ils ?

Comment expliquer le commerce entre pays spécialisés ?

Avantages comparatifs et intérêt de la spécialisation internationale

Peut-on vivre en n’utilisant que des produits français ? C’est la question qui a poussé Benjamin Carle, un jeune journaliste de 25 ans, à faire l’expérience de vivre pendant un an en consommant exclusivement des produits conçus et fabriqués principalement en France.

Exercice 2.2 Made in France

Regardez la vidéo « Made in France – L’année où j’ai vécu 100 % français ». Indiquez où sont conçus et fabriqués les produits qu’utilise Benjamin Carle au cours d’une journée ordinaire.

Vous-même, connaissez-vous la personne qui a fabriqué les produits que vous utilisez quotidiennement ?

Imaginez maintenant que nous sommes en 1776, l’année où Adam Smith, un économiste écossais (1723–1790), a écrit La Richesse des nations. Les mêmes questions, posées n’importe où dans le monde, auraient eu une réponse bien différente.1

Nombre des produits que vous auriez observés à l’époque d’Adam Smith auraient été réalisés par un membre de la famille ou du village. À cette époque, de nombreuses familles produisaient une grande variété de biens pour leur propre consommation, dont de la viande, des produits agricoles, des vêtements et même des outils. Vous auriez vous-même fabriqué quelques objets, d’autres auraient été conçus localement ou achetés sur le marché du village.

spécialisation
Un pays ou un producteur choisit de consacrer ses ressources productives à une production particulière.
division du travail
La répartition des activités entre des individus ou des fonctions spécialisées. Elle est liée à la spécialisation des individus et engendre des échanges entre eux. Voir également : spécialisation.

L’un des changements en cours à la période où Adam Smith a vécu, mais qui s’est grandement accéléré depuis, est la spécialisation (appelée aussi la division du travail) dans la production de biens et de services. Les individus ne produisent pas en général la diversité des biens et des services qu’ils utilisent ou consomment au quotidien. Ils se spécialisent, certains produisant un bien ou service, d’autres produisant d’autres biens et services, certains travaillant comme fermiers, d’autres comme enseignants, médecins ou codeurs.

Le raisonnement peut être étendu à l’échelle internationale : les machines-outils (comme les outils de coupe de précision) fabriquées dans le sud de l’Allemagne sont utilisées dans la production d’ordinateurs sur la côte sud de la Chine. Ces ordinateurs utilisent des logiciels produits à Bangalore en Inde et en Californie. Ils sont ensuite distribués à travers le monde grâce à des avions construits près de Seattle, aux États-Unis, pour être vendus à leurs utilisateurs dans le monde entier. Les producteurs de ces marchandises mangent des aliments cultivés au Canada ou en Ukraine et portent des chemises fabriquées à l’île Maurice.

Ces exemples montrent que la spécialisation et l’échange sont les deux faces d’un même processus :

Aujourd’hui, presque tous les pays font partie d’une économie mondiale caractérisée par :

À ce stade du raisonnement, vous avez compris que, sans échange, la spécialisation serait impossible ; réciproquement, la spécialisation implique l’accroissement des échanges. Mais quels sont les fondements de la spécialisation et les avantages qu’en tirent les producteurs et les pays spécialisés ?

Pour aborder cette explication, imaginez un monde dans lequel vivent deux individus seulement, Greta et Carlos, qui ont chacun besoin de deux biens, des pommes et du blé, pour survivre. Imaginez que Greta habite sur l’île des Délices et Carlos sur l’île du Bonheur. La terre sur chaque île peut être utilisée pour cultiver du blé et des pommes.

Carlos dispose d’une terre moins fertile que Greta : le Tableau 2.2 en décrit les conséquences.

Greta sur l’île des Délices Carlos sur l’île du Bonheur
1 tonne de pommes 10 h 60 h
1 tonne de blé 20 h 30 h

Tableau 2.2 Nombre d’heures de travail nécessaire à Greta sur l’île des Délices et Carlos sur l’île du Bonheur pour produire une tonne de pommes et une tonne de blé.

avantage absolu
Un producteur ou un pays détient un avantage absolu dans une production quand sa productivité est plus élevée que celle d’un autre producteur ou pays. Voir également : avantage comparatif.
avantage comparatif
Un producteur ou un pays détient un avantage comparatif si le coût relatif d’un produit A par rapport à un produit B est inférieur au coût relatif du produit A par rapport au produit B pour un autre producteur ou dans un autre pays. Voir également : avantage absolu.

Les économistes distinguent les avantages dont dispose un producteur de deux manières : l’avantage absolu et l’avantage comparatif.

Avant d’aborder ces notions dans un contexte économique, appuyons-nous sur un exemple dans le domaine de la musique. Connaissez-vous le groupe de musique The Beatles ? Il a rythmé la jeunesse de vos parents ou de vos grands-parents. Le chanteur Paul McCartney était le plus doué du groupe, au chant mais aussi à la batterie. Il avait un avantage absolu dans les deux domaines, car il chantait mieux et jouait mieux de la batterie que le batteur du groupe, Ringo Starr.

Si vous avez compris cet exemple relatif à la musique, appliquons le concept d’avantage absolu aux productions de Greta et Carlos dans le domaine économique.

Question 2.4 Complétez le texte

Le temps consacré par Greta à chacune des deux productions est élevé que le temps qu’y consacre Carlos : la productivité de Greta est donc élevée ; elle dispose d’un dans les deux productions. Quant à Carlos, sa productivité est élevée que celle de Greta : il subit un dans les deux productions.

Ces différences de productivité se traduisent par des différences de coûts (qualifiés d’absolus) : puisque la productivité de Greta est élevée dans les deux productions, ses coûts sont aussi faibles. Les productions de Greta sont aussi compétitives en termes de prix que celles de Carlos.

autarcie
Situation d’un territoire qui tend à se suffire à lui-même (on parle aussi d’autosuffisance) pour satisfaire les besoins de sa population.

À ce stade du raisonnement, vous comprenez bien que Greta, disposant d’un avantage absolu et de coûts plus faibles dans les deux productions, n’a aucun intérêt à se spécialiser dans l’une des productions et à abandonner l’autre : il faudrait alors qu’elle importe le produit dont elle a abandonné la production à un prix plus élevé que si elle l’avait produit elle-même. Carlos aurait quant à lui tout intérêt à cesser la production de pommes et de blé et à les importer depuis l’île des Délices puisque ces productions y sont moins coûteuses. Mais, il n’aurait rien à échanger contre les pommes et le blé importés. La spécialisation et les échanges sont impossibles : chaque producteur reste en autarcie, autrement dit Greta comme Carlos continuent de produire les pommes et le blé dont ils ont besoin.

Nous allons reprendre l’exemple du groupe de musique The Beatles : Ringo Starr subissait un désavantage absolu dans les deux domaines de la batterie et du chant ; cependant, si Ringo Starr était moins bon batteur, il chantait surtout « comme une casserole ». À l’inverse, Paul McCartney jouait mieux de la batterie, mais il était surtout bien meilleur que Ringo Starr au chant. Résultat : l’avantage comparatif de McCartney était au chant, celui de Ringo Starr à la batterie, et le groupe devint mondialement célèbre.

Appliquons désormais cette notion d’avantage comparatif aux exemples de Greta et Carlos.

Question 2.5 Complétez le texte

Le temps consacré par Greta à la production d’une tonne de pommes représente du temps que Carlos consacre à cette même production ; le temps consacré par Greta à la production d’une tonne de blé représente du temps que Carlos consacre à cette même production. La productivité de Greta par rapport à celle de Carlos est donc relativement ou comparativement plus élevée dans que dans  : elle détient un dans cette production. Carlos, quant à lui consacre fois plus de temps que Greta à la production d’une tonne de pommes et fois plus de temps que Greta à la production d’une tonne de blé : sa productivité, par rapport à celle de Greta, est relativement ou comparativement dans la production de blé que dans la production de pommes. Même s’il ne détient aucun avantage absolu, Carlos détient donc un dans la production de blé.

Ces différences de productivité relative se traduisent par des différences de coûts relatifs :

  Greta sur l’île des Délices Carlos sur l’île du Bonheur
Coût relatif d’une tonne de pommes par rapport à une tonne de blé 10/20 = 0,5 =
Coût relatif d’une tonne de blé par rapport à une tonne de pommes 20/10 = 2 =

Le coût relatif d’une tonne de pommes produite par Greta sur l’île des Délices est que le coût relatif d’une tonne de blé : Greta détient un avantage de compétitivité-prix dans cette production par rapport à celle du blé. En revanche, le coût relatif d’une tonne de blé produite par Carlos sur l’île du Bonheur est que le coût relatif d’une tonne de pommes : Carlos détient un avantage de compétitivité-prix dans cette production par rapport à celle des pommes.

spécialisation internationale
Processus par lequel chaque pays choisit de consacrer ses ressources productives à une activité pour laquelle il dispose d’un avantage absolu (Adam Smith) ou comparatif (David Ricardo) et d’abandonner les autres activités.

Contrairement à ce que nous avons vu concernant les avantages absolus, il semblerait désormais que la spécialisation internationale de Greta et de Carlos en fonction de leurs avantages comparatifs présente un intérêt pour chacun d’eux.

Nous allons désormais envisager les effets bénéfiques d’une telle spécialisation internationale selon les avantages comparatifs, en comparant les situations de Greta, de Carlos et du monde (qui, rappelez-vous, ne comporte que deux îles) en autarcie et après la spécialisation et l’échange.

Question 2.6 Complétez le tableau

Avant de compléter le tableau, veillez à lire les conseils suivants :

  • Reportez-vous aux données du Tableau 2.2 pour évaluer la production en autarcie et après la spécialisation.
  • Pour calculer la production une fois la spécialisation réalisée, vous reprendrez le temps total que consacrait Greta à la production agricole, soit 30 heures, et le temps total que consacrait Carlos à la production agricole, soit 90 heures.
  Greta sur l’île des Délices Carlos sur l’île du Bonheur Monde : l’île des Délices et l’île du Bonheur
En autarcie : avant la spécialisation et l’échange      
Production de pommes tonne(s) tonne(s) tonne(s)
Production de blé tonne(s) tonne(s) tonne(s)
Après la spécialisation et l’échange      
Production de pommes tonne(s) tonne(s) tonne(s)
Production de blé tonne(s) tonne(s) tonne(s)
Production supplémentaire (surplus) tonne(s) de pommes tonne(s) de blé tonne(s) de pommes tonne(s) de blé

La spécialisation en fonction des avantages comparatifs présente un premier intérêt majeur : l’allocation des ressources (la manière dont Greta et Carlos utilisent leurs facteurs de production, travail, capital et terres) est optimale puisque chacun s’est spécialisé dans la production dans laquelle il était relativement le plus productif. Par conséquent, la productivité s’accroît, ainsi que la production : il y a croissance économique sur chacune des deux îles, ainsi qu’au niveau mondial.

À la suite de cette augmentation de la production, Greta décide de conserver la moitié de son surplus, soit une tonne de pommes : elle envisage ainsi de développer un élevage porcin (les cochons sont friands de ces fruits). Le reste de son surplus, soit une tonne de pommes, sera exporté sur l’île du Bonheur. Quant à Carlos, il conserve également la moitié de son surplus, soit une tonne de blé, afin de mettre en place une activité de minoterie (production de farine). Le reste de son surplus, soit une tonne de blé, sera exporté sur l’île des Délices. Vous découvrirez dans la Section 2.4 que chacun se procure ainsi davantage que s’il avait lui-même tout produit.

Finalement, la spécialisation selon les avantages comparatifs permet la hausse de la productivité et de la production (croissance économique) : chaque agent économique spécialisé dispose d’une quantité au moins aussi importante pour sa propre consommation (Greta a ainsi conservé pour son propre usage une tonne de pommes et Carlos une tonne de blé) et peut exporter le surplus pour se procurer le produit dont il a abandonné la production.

jeu à somme positive
Un jeu dans lequel chacun des joueurs est gagnant.

Les agents économiques qui se spécialisent et échangent produisent et consomment plus de biens et services que s’ils tentaient d’être autosuffisants : ils réalisent ainsi un gain à l’échange. Ces gains apparaissent pour l’ensemble des producteurs ou pays échangistes : le commerce international est donc un jeu à somme positive.

Dans l’exemple précédent, sans vous en douter, vous avez découvert deux théories : celle d’Adam Smith (1723–1790) relative aux avantages absolus et celle de David Ricardo (1772–1823) concernant les avantages comparatifs. L’œuvre la plus importante de Ricardo, Des principes de l’économie politique et de l’impôt (publiée en 1817), a défini le principe des avantages comparatifs selon lequel deux pays pourraient échanger de façon mutuellement avantageuse, même si dans l’absolu l’un des deux est meilleur dans la production de tous les biens.2

Regardez la vidéo « Qu’est-ce que l’avantage comparatif ? » de Dessine-moi l’éco : pendant la lecture de la vidéo, prenez en note le nombre de personnes nécessaires pour produire une pièce de drap et un tonneau de vin au Portugal d’une part, en Angleterre d’autre part.

Question 2.7 Choisissez la bonne réponse

Dans l’exemple pris par Ricardo :

  • Le Portugal détient un avantage absolu dans la production de vin et l’Angleterre détient un avantage absolu dans la production de drap.
  • Le Portugal détient un avantage absolu dans la production de drap et l’Angleterre détient un avantage absolu dans la production de vin. Ces deux pays peuvent se spécialiser et échanger entre eux.
  • Le Portugal détient un avantage absolu dans les deux productions. Aucune spécialisation ni aucun échange n’est donc possible.
  • L’Angleterre détient un avantage absolu dans les deux productions. Aucune spécialisation ni aucun échange n’est donc possible.
  • Il faut 100 personnes en Angleterre pour produire une pièce de drap contre seulement 90 personnes au Portugal. Le Portugal détient par conséquent un avantage absolu dans la production de drap.
  • Il faut 120 personnes en Angleterre pour produire un tonneau de vin contre seulement 80 personnes au Portugal. Le Portugal détient par conséquent un avantage absolu dans la production de vin.
  • Le nombre de personnes nécessaires pour produire une pièce de drap et un tonneau de vin est plus faible au Portugal qu’en Angleterre.
  • Le nombre de personnes nécessaires pour produire une pièce de drap et un tonneau de vin est plus élevé en Angleterre qu’au Portugal.

Question 2.8 Complétez le tableau

Choisissez les bonnes réponses pour vérifier vos acquis sur les avantages comparatifs.

  Portugal Angleterre
Nombre de personnes pour produire une pièce de drap
Nombre de personnes pour produire un tonneau de vin
En autarcie : avant la spécialisation et l’échange    
Coût relatif d’une pièce de drap par rapport à un tonneau de vin
Coût relatif d’un tonneau de vin par rapport à une pièce de drap
Production de pièce(s) de drap Avec 170 personnes : Avec 220 personnes :
Production de tonneau(x) de vin
Après la spécialisation et l’échange    
Production dans laquelle le pays se spécialise :
Production de pièce(s) de drap Avec 170 personnes : Avec 220 personnes :
Production de tonneau(x) de vin
Production supplémentaire (surplus)

Finalement, vous l’aurez compris, la théorie la plus adaptée pour expliquer le commerce international est celle des avantages comparatifs développée par David Ricardo. Un producteur comme Carlos sur l’île du Bonheur ou un pays comme l’Angleterre qui subit un désavantage absolu dans toutes les productions a tout de même intérêt à se spécialiser dans la production dans laquelle son désavantage comparatif est le plus faible, autrement dit dans celle pour laquelle sa productivité est comparativement la moins faible, et à échanger. Parallèlement, un producteur comme Greta sur l’île des Délices ou un pays comme le Portugal se spécialise dans la production pour laquelle il est comparativement plus productif, exporte ce bien ou service et importe les autres biens et services. La spécialisation internationale est ainsi le processus par lequel chaque producteur ou pays choisit de consacrer ses ressources productives à une activité pour laquelle il dispose d’un avantage comparatif et d’abandonner les autres productions.

Graphique 2.3 Productivité du travail et avantage comparatif : États-Unis et Royaume-Uni.

MacDougall, G. D. A. 1951. “British and American Exports: A Study Suggested by the Theory of Comparative Costs. Part I.” The Economic Journal 61 (244) : pp. 697–724. Note : les axes des abscisses et ordonnées sur ce graphique sont gradués selon une échelle logarithmique et non arithmétique.

Le Graphique 2.3 présente sur l’axe des abscisses le rapport entre la productivité d’un travailleur américain et celle d’un travailleur britannique ; l’axe des ordonnées présente le rapport entre les exportations de ces deux mêmes pays. Le graphique montre tout d’abord que la productivité d’un travailleur américain est supérieure dans toutes les industries considérées, puisque le ratio des productivités est toujours supérieur à 1 : les États-Unis détiennent donc un avantage absolu dans toutes ces productions par rapport au Royaume-Uni. En revanche, les exportations américaines sont plus élevées seulement dans certaines industries (le ratio des exportations est alors supérieur à 1) : les machines, les voitures, les récipients en verre, par exemple. C’est parce que le désavantage absolu du Royaume-Uni dans toutes les productions ne l’empêche pas de se spécialiser dans une production où il est deux fois moins productif : la bière. En effet, le Royaume-Uni a intérêt à se spécialiser dans la production de bière pour importer des voitures pour la production desquelles il est trois fois moins productif : c’est la comparaison de la productivité relative dans la production de bières par rapport à la production de voitures qui permet au Royaume-Uni de détenir un avantage comparatif dans la production de bières. Il exporte ainsi 20 fois plus de bière que les États-Unis.

Les dotations factorielles et technologiques à l’origine des avantages comparatifs

Les dotations factorielles à l’origine des avantages comparatifs

Appuyons-nous de nouveau sur les exemples de Greta et Carlos : Greta est plus productive dans les productions de pommes et de blé parce que la terre de l’île des Délices est de meilleure qualité et plus fertile.

De même, les ressources naturelles et le climat des pays diffèrent. Pour des raisons climatiques, produire des bananes en Allemagne serait très coûteux. C’est pour cela que les Allemands se spécialisent dans d’autres productions.

dotations factorielles
Quantités de facteurs de production (travail, capital et terres) disponibles dans une économie.
intensif en capital
Se dit de l’utilisation d’une plus grande quantité de capital (par exemple, les machines et équipements) par rapport au travail et aux autres facteurs de production. Voir également : intensif en travail.

Le modèle Heckscher-Ohlin, élaboré par deux économistes suédois, Eli Heckscher (1879–1952) et Bertil Ohlin (1899–1979), affirme que « chaque pays doit se spécialiser dans la production utilisant les facteurs de production dont il dispose en abondance et importer les biens produits avec des facteurs qu’il possède en moindre quantité ». Les pays se distinguent par des dotations factorielles, des quantités de facteurs de production (terres, travail, capital mesuré par le stock de machines, les bâtiments et d’autres d’équipement par travailleur) variables, certains facteurs étant plus ou moins abondants ou rares. Par exemple, le Canada et les États-Unis disposaient de terres abondantes par rapport au facteur travail (dont ils étaient moins dotés avant les grandes vagues d’immigration de la seconde moitié du 19e siècle), et devaient donc se spécialiser dans la production et l’exportation de produits agricoles. Aujourd’hui, l’Allemagne, comparativement à la Chine, dispose d’une dotation factorielle plus abondante en capital et d’une dotation factorielle moins abondante en main-d’œuvre : l’Allemagne exporte des biens intensifs en capital vers la Chine ; la Chine exporte des biens intensifs en travail vers l’Allemagne.

La logique sous-jacente à ce principe est la suivante :

Vous allez mettre en application vos acquis sur les dotations factorielles en comparant la composition des exportations chinoises et américaines en 1992 et en 2018, présentées dans les Tableaux 2.3a et 2.3b.

Part dans les exportations chinoises (%) Part dans les exportations américaines (%)
Animaux 3 2
Produits chimiques 5 8
Produits alimentaires 4 4
Chaussures 6 0
Carburant 6 3
Cuirs et peaux 3 1
Machines et produits électroniques 14 31
Métaux 5 4
Minéraux 1 1
Autre 9 11
Plastique ou caoutchouc 2 4
Pierre et verre 3 2
Tissus et vêtements 29 3
Matériel de transport 2 18
Légumes 5 5
Bois 2 5
Total 100 100

Tableau 2.3a Exportations chinoises et américaines en 1992.

World Integrated Trade Solution. Note : les totaux ne sont pas toujours égaux à 100 en raison des arrondis.

Part dans les exportations chinoises (%) Part dans les exportations américaines (%)
Animaux 0,68 1,76
Produits chimiques 5,48 10,27
Produits alimentaires 1,36 2,81
Chaussures 2,47 0,13
Carburant 1,87 11,57
Cuirs et peaux 1,39 0,25
Machines et produits électroniques 43,85 22,6
Métaux 7,47 4,41
Minéraux 0,2 0,62
Autre 10,08 11,41
Plastique ou caoutchouc 4,12 4,86
Pierre et verre 2,87 4,47
Tissus et vêtements 10,69 1,63
Matériel de transports 4,73 16,58
Légumes 1,07 4,17
Bois 1,68 2,46
Total 100 100

Tableau 2.3b Exportations chinoises et américaines en 2018.

World Integrated Trade Solution.

Question 2.9 Complétez le texte

Le Tableau 2.3a montre qu’en 1992 la Chine exportait relativement plus de produits de l’industrie qui sont intensifs en . Ces chiffres traduisent, selon le modèle Heckscher-Ohlin, une du facteur travail en Chine à l’époque. À l’inverse, ce tableau montre qu’en 1992 les États-Unis exportaient relativement plus de , en raison d’une abondance relative dans ce pays. Conformément au modèle Heckscher-Ohlin, le volume des facteurs de production disponible dans une économie explique la spécialisation et les échanges.

Cependant, les facteurs de production sont aussi de qualité différente. La spécialisation de la Chine peut aussi s’expliquer par une dotation factorielle abondante en main-d’œuvre , dont le prix relatif est . Quant à la spécialisation des États-Unis, elle peut aussi s’expliquer par une dotation factorielle en main-d’œuvre qualifiée.

Presque 30 ans plus tard, la Chine semble désormais avoir un avantage à l’exportation dans les . Cette évolution traduit une hausse du niveau de de la main-d’œuvre chinoise, désormais plus .

Pour aller plus loin : le paradoxe de Leontief

Observant le commerce extérieur des États-Unis (1947–1952), un économiste américain, Wassily Leontief (1906–1999), met en évidence un paradoxe (dit « de Leontief ») : si l’on suit le modèle Heckscher-Ohlin, les États-Unis devraient être spécialisés dans les productions à forte intensité capitalistique. Or, ils sont davantage spécialisés dans les productions intensives en main-d’œuvre.

L’explication de ce paradoxe se trouve dans les caractéristiques du facteur travail aux États-Unis : selon Leontief, les États-Unis seraient un pays relativement abondant en facteur travail, car il faut prendre en compte non seulement le nombre de salariés, mais aussi leur productivité. Or, la productivité des salariés américains est trois fois plus élevée qu’ailleurs en raison de leur niveau de qualification et de la qualité de l’organisation du travail (généralisation du fordisme).

Une autre manière de résoudre le paradoxe consiste à considérer que le capital ne se limite pas au capital physique (machines, locaux, biens d’équipement), mais inclut également le capital humain (les dispositions physiques et intellectuelles incorporées aux individus qui sont sources de productivité) : si l’on intègre le capital humain dans le capital total, il apparaît que les États-Unis exportent effectivement des produits relativement intensifs en capital. Le paradoxe est levé !

Les dotations technologiques à l’origine des avantages comparatifs

L’Organisation de coopération et de développement économiques regroupe des pays développés et des pays émergents.

dotations technologiques
Techniques de production et innovations disponibles dans une économie.

Les pays se distinguent non seulement par leurs dotations factorielles, mais aussi par leurs dotations technologiques. C’est ce que nous allons comprendre en comparant la situation de la Corée du Sud à celle des pays membres de l’OCDE.

Graphique 2.4 Dépenses intérieures en recherche-développement et exportations de haute technologie (2011–17).

Banque mondiale.

Question 2.10 Choisissez les bonnes réponses

En Corée du Sud :

  • Les dépenses de recherche-développement représentent 3,7 % du PIB en 2011 et 4,6 % du PIB en 2017.
  • Les exportations de haute technologie représentent 3,9 % du PIB en 2011 et 32,5 % des exportations de biens manufacturés en 2017.
  • Les exportations de haute technologie représentent 28,1 % des exportations de biens manufacturés en 2011 et 32,5 % des exportations de biens manufacturés en 2017.
  • Les dépenses de recherche-développement représentent 3,7 % du PIB en 2011 et 32,5 % des exportations de biens manufacturés en 2017.
  • Les données concernant les dépenses de recherche-développement se lisent sur l’axe de gauche.
  • En 2011, les données concernant les exportations se lisent sur l’axe de droite et elles sont exprimées en pourcentage des exportations de biens manufacturés.
  • Les données concernant les exportations se lisent sur l’axe de droite.
  • En 2017, les données concernant les dépenses de recherche-développement se lisent sur l’axe de gauche.

Question 2.11 Choisissez les bonnes réponses

En 2017 :

  • La part des dépenses de recherche-développement dans le PIB en Corée du Sud est supérieure de 176,9 % à la moyenne de l’OCDE.
  • La part des exportations de haute technologie dans les exportations de biens manufacturés en Corée du Sud est 1,8 fois plus élevée que la moyenne des pays de l’OCDE.
  • Les exportations de haute technologie sont plus élevées en Corée du Sud que dans les pays de l’OCDE en moyenne.
  • La part des dépenses de recherche-développement dans le PIB en Corée du Sud est 1,8 fois plus élevée qu’en moyenne dans les pays de l’OCDE.
  • La part des dépenses de recherche-développement dans le PIB en Corée du Sud représente (4,6/2,6) × 100 = 176,9 % de la moyenne de l’OCDE. Elle est donc supérieure de 76,9 % à la moyenne.
  • La part des exportations de haute technologie dans les exportations de biens manufacturés en Corée du Sud est 32,5/17,9 = 1,8 fois plus élevée que la moyenne de l’OCDE.
  • C’est la part des exportations de haute technologie dans les exportations de biens manufacturés qui est supérieure en Corée du Sud.
  • La part des dépenses de recherche-développement dans le PIB en Corée du Sud est 4,6/2,6 = 1,8 fois plus élevée que la moyenne dans les pays de l’OCDE.

Question 2.12 Choisissez les bonnes réponses

De 2011 à 2017 :

  • La comparaison des données de la Corée du Sud avec la moyenne de l’OCDE ne permet pas d’observer de corrélation positive entre la part des dépenses de recherche-développement dans le PIB et la part des exportations de haute technologie dans les exportations de biens manufacturés.
  • Il y a une corrélation positive entre la part des dépenses de recherche-développement dans le PIB et la part des exportations de haute technologie dans les exportations de biens manufacturés en Corée du Sud.
  • Il n’y a pas de relation de causalité entre l’évolution de la part des dépenses de recherche-développement en Corée du Sud et celle de la part des dépenses de recherche-développement dans les pays de l’OCDE.
  • Il n’y a pas de relation de causalité entre l’évolution de la part des dépenses de recherche-développement dans le PIB et celle de la part des exportations de haute technologie dans les exportations de biens manufacturés en Corée du Sud.
  • Il y a bien une corrélation positive entre ces deux parts en Corée du Sud puisque les deux variables augmentent. En moyenne dans les pays de l’OCDE, la corrélation est positive jusqu’en 2016, mais elle devient négative en 2017 puisque la part des dépenses de recherche-développement dans le PIB augmente, alors que celle des exportations de haute technologie dans les exportations de biens manufacturés baisse.
  • Les deux variables augmentent toutes deux.
  • Ce n’est pas parce que la Corée du Sud augmente ses dépenses de recherche-développement que les autres pays de l’OCDE font de même.
  • La hausse de la part des dépenses de recherche-développement dans le PIB peut contribuer à la hausse de la part des exportations de haute technologie dans les exportations de biens manufacturés.

L’importance de l’investissement de la Corée du Sud en recherche-développement lui donne une avance technologique en termes d’innovation. Vous le savez peut-être, certains géants de l’électroménager et de l’électronique sud-coréens sont à la pointe de la recherche et comptent révolutionner la domotique en créant des logements et équipements de logement entièrement connectés (il serait même envisagé de pouvoir divertir son chien à distance !). Ces entreprises innovatrices détiennent un avantage comparatif, car elles sont en position de monopole temporaire. Apparaissent alors des échanges internationaux liés à l’écart technologique : la demande étrangère est satisfaite par des exportations en provenance de la Corée du Sud. Lorsque l’innovation se diffuse, les pays anciennement importateurs peuvent se mettre à produire eux-mêmes le produit. Cependant, la première entreprise innovatrice conserve souvent un avantage de notoriété (pensez ici à l’entreprise Dyson qui a été la première à commercialiser des aspirateurs sans sac) ou de coût qui lui permet de continuer à exporter dans le reste du monde.

Les dotations technologiques de la Corée du Sud l’amènent à se spécialiser dans les biens de haute technologie et à les exporter. Cependant, des biens considérés aujourd’hui comme hautement technologiques vont peu à peu perdre cette caractéristique. C’est sur ce constat que s’appuie Raymond Vernon (économiste américain, 1913–1999) dans les années 1960 pour montrer le lien entre le cycle de vie des produits et le commerce international. Sa thèse s’applique aux échanges de biens de consommation entre les firmes américaines et les pays européens de 1945 à la fin des années 1960. Après cette date, le différentiel d’innovation et de coûts est moindre entre les États-Unis et l’Europe. Mais sa thèse sur l’innovation comme déterminant des échanges, telle qu’elle est présentée dans l’Illustration 2.2, peut être étendue à d’autres pays.

Illustration 2.2 Phases du cycle de vie du produit et phases du commerce international.

Au vu de cette illustration, une dotation technologique ne donne pas un avantage comparatif définitif à un pays. La diffusion des connaissances et les transferts de technologies permettent à des pays suiveurs ou imitateurs d’acquérir un avantage comparatif dans des produits en maturité ou en déclin. Les pays innovateurs doivent donc développer de nouveaux produits pour lesquels leur dotation technologique leur procure un nouvel avantage comparatif.

Synthèse

Les échanges internationaux et la spécialisation internationale s’expliquent en premier lieu par des différences entre les pays : différences de productivité (Ricardo), différences de dotations factorielles (Heckscher-Ohlin) et différences de dotations technologiques. Ces différences sont à l’origine d’avantages comparatifs qui conduisent les producteurs ou les pays à se spécialiser dans certaines productions, à exporter et à importer les produits dont ils ont abandonné la production. Le commerce international qui résulte de la spécialisation selon les avantages comparatifs est un jeu à somme positive, car il profite à l’ensemble des pays participant aux échanges.

Comment expliquer le commerce entre pays comparables ?

échanges interbranches
Flux croisés d’exportations et d’importations de produits issus de branches différentes, par exemple l’échange du vin portugais contre du drap anglais.

Les théories qui ont été étudiées dans la partie précédente ont pour point commun d’expliquer le commerce international par l’existence de différences entre pays : différences de productivité (Ricardo), de dotations factorielles (Heckscher-Ohlin) ou technologiques. Le commerce international est alors un échange de différences (on parle d’échanges interbranches) : les pays échangent ce qu’ils ne produisent pas eux-mêmes ou ce que les autres produisent mieux.

On a ainsi longtemps pensé que si tous les pays avaient les mêmes caractéristiques productives (productivité, dotations), aucun n’aurait d’avantage comparatif dans la production de quelque bien ou service que ce soit, et qu’aucun n’aurait de raison de se spécialiser et d’échanger.

rendements d’échelle croissants
La production augmente plus vite que les quantités de facteurs de production. Voir également : économies d’échelle.

Mais il y a bien d’autres raisons de se spécialiser. Au cours des années 1980, les économistes Avinash Dixit, Elhanan Helpman et Paul Krugman ont développé des modèles du commerce international dans lesquels les échanges ne sont pas dus à des différences entre les pays, mais aux rendements d’échelle croissants.

Pour le démontrer, revenons à l’exemple de Greta sur l’île des Délices et de Carlos sur l’île du Bonheur : supposons que chacun soit aussi productif et ait les mêmes dotations factorielles (terres en même quantité et de qualité identique). Ils sont tous les deux capables de produire des pommes et du blé, mais la production des pommes et la production du blé sont sujettes à des rendements d’échelle croissants. Cela impliquerait, par exemple, que doubler la quantité de terre et le temps de travail consacrés à la production, disons, des pommes, ferait plus que doubler la quantité de pommes produites.

Dans le Tableau 2.4, vous pouvez observer que si 25 hectares et un quart du temps de travail sont consacrés à la production de pommes, 625 tonnes de pommes seront produites. Si l’on double la surface de terre jusqu’à 50 hectares et le temps de travail, la production de pommes est multipliée par 4, soit 2 500 tonnes de pommes. Quant à la production de blé, elle correspond, pour chaque surface, à un dixième du nombre de pommes produites.

Surface de terre utilisée (hectares) 25 50 75 100
Temps de travail utilisé (en fraction du temps de travail total) 1 quart la moitié 3 quarts la totalité
Production de blé (tonnes) 62,5 250 562,5 1 000
Production de pommes (tonnes) 625 2 500 5 625 10 000

Tableau 2.4 Économies d’échelle dans les productions de blé et de pommes.

Imaginez que Carlos et Greta restent en autarcie, chacun disposant de 100 hectares et divisant leur terre et leur force de travail de façon égale entre les pommes et le blé : ils produiraient chacun 250 tonnes de blé et 2 500 tonnes de pommes. La production mondiale serait alors de 500 tonnes de blé et de 5 000 tonnes de pommes.

Cependant, si l’un d’eux se spécialisait dans le blé et l’autre dans les pommes et qu’ensuite Greta et Carlos partageaient la production en parts égales, ils obtiendraient chacun deux fois plus de blé et de pommes qu’en l’absence de spécialisation. En effet, la production mondiale serait de 1 000 tonnes de blé et de 10 000 tonnes de pommes.

L’avantage de la spécialisation ne vient pas ici d’un avantage comparatif lié à une différence de productivité ou de dotations entre Greta et Carlos. Cet avantage est dû aux rendements d’échelle croissants permis par la spécialisation dans une seule production. Carlos et Greta sont plus efficaces en produisant chacun une grande quantité d’un seul bien, peu importe lequel.

économies d’échelle
Du fait des rendements d’échelle croissants, les coûts unitaires baissent, ce qui peut se traduire par une baisse des prix et/ou une hausse des profits. Voir également : rendements d’échelle croissants.
coût unitaire de production
Coût par unité produite, soit le rapport entre le coût total et le nombre d’unités produites.

Les économistes utilisent les notions de rendements d’échelle croissants et d’économies d’échelle pour décrire les avantages tirés de la production à grande échelle. Les rendements d’échelle sont croissants si une hausse des quantités de facteurs de production (travail et capital) entraîne une hausse plus importante de la production : dans le cas de Greta et Carlos, doubler la quantité de facteurs affectée à une seule production provoque le quadruplement de la production. Par conséquent, les coûts unitaires de production baissent et le producteur réalise des économies d’échelle : il peut en profiter pour baisser ses prix et ainsi gagner en compétitivité-prix.

Pour comprendre pourquoi des rendements d’échelle croissants et des économies d’échelle apparaissent, il faut mobiliser la distinction entre économies d’échelle internes et externes mise en évidence par Alfred Marshall (économiste anglais, 1842–1924).

Les économies d’échelle internes apparaissent au sein même de l’entreprise. En premier lieu, la hausse de la taille de l’entreprise, mesurée par sa production en volume, permet d’amortir les coûts fixes sur une quantité plus importante, d’où une baisse des coûts unitaires. Reprenons l’exemple de la technologie sud-coréenne permettant de divertir son chien à distance que nous appellerons Entertain dog (Tableau 2.5) : le coût fixe lié à la mise au point de cette technologie est élevé, car il faut investir en recherche-développement et mobiliser une main-d’œuvre qualifiée (chercheurs, ingénieurs, techniciens) ; le coût variable par unité produite et vendue est ensuite beaucoup plus faible.

Nombre d’unités vendues
Montants en dollars 1 1 000 10 000
Coût fixe lié à la mise au point de la technologie Entertain dog 1 000 000 1 000 000 1 000 000
Coût variable : 20 $ par unité vendue 20 20 000 200 000
Coût total 1 000 020 1 020 000 1 200 000
Coût unitaire 1 000 020 1 020 120

Tableau 2.5 Coûts liés à la production d’Entertain dog.

apprentissage par la pratique (learning by doing, en anglais)
L’expérience dans la production permet d’améliorer progressivement l’organisation de la production et du travail et de gagner en productivité. Connu également sous le terme : effets d’apprentissage.

Vous le constatez, plus le nombre d’unités produites et vendues augmente, plus le coût unitaire baisse, ce qui donne un avantage très important aux producteurs qui sont les premiers à entrer sur le marché, produisent et vendent le plus. Ils bénéficient de surcroît d’effets d’apprentissage (on parle aussi d’apprentissage par la pratique) : les producteurs présents sur le marché, avec l’expérience, acquièrent des compétences, par exemple en matière d’organisation de la production et du travail, ce qui leur permet de gagner en productivité, donc de bénéficier d’une baisse des coûts unitaires. Les salariés eux-mêmes deviennent plus habiles et plus productifs.

La baisse des coûts unitaires liée aux économies d’échelle internes est d’autant plus importante que la taille du marché est large. Ainsi, le producteur qui a mis au point Entertain dog doit-il tenter non seulement d’inonder le marché sud-coréen de sa nouvelle technologie, mais aussi de séduire les propriétaires de chiens du monde entier : plus la taille du marché est large, plus les coûts unitaires sont faibles et plus la compétitivité-prix s’accroît si l’entreprise répercute cette baisse des coûts unitaires sur les prix.

effets d’agglomération
Possibilité de réaliser des gains de productivité grâce à la proximité géographique des entreprises les unes avec les autres.

Les économies d’échelle externes s’observent au niveau de bassins industriels (appelés aussi clusters ou pôles de compétitivité) où des entreprises, souvent de la même branche, se concentrent au sein d’une même zone géographique. Aujourd’hui, l’archétype en est la Silicon Valley. En Corée du Sud, les bassins industriels sont très spécialisés (équipement de transport, matériel informatique, mécanique, son et communication, optique et électronique, entre autres). Dans ces zones, l’activité de chaque entreprise peut générer des externalités positives sur celle de toutes les autres : on parle d’effets d’agglomération. Marshall identifie plusieurs facteurs à l’origine de ces externalités :

C’est donc en raison de l’existence d’économies d’échelle internes et externes, et non de l’existence d’un avantage comparatif, que certains pays comparables se spécialisent.

échanges intrabranches
Flux croisés d’exportations et d’importations de produits issus de la même branche, par exemple l’échange d’automobiles allemandes contre des automobiles françaises.

Par ailleurs, les théories que vous avez étudiées dans la première partie de la section sont impuissantes à expliquer l’existence d’échanges intrabranches, tels que ceux qui se pratiquent entre la France et l’Allemagne.

Ventes (véhicules) Part de marché (%)
Renault en Allemagne 131 138 3,8
Volkswagen en France 149 105 6,3

Tableau 2.6 Échanges intrabranches entre la France et l’Allemagne (2019).

leblogauto.com. auto-infos.fr.

Ce tableau montre que la France et l’Allemagne échangent des véhicules automobiles. Or, ce sont des pays comparables : la productivité diffère peu entre ces deux pays. Leurs dotations factorielles et technologiques sont proches : la France, tout comme l’Allemagne, sont bien dotées en capital et en main-d’œuvre qualifiée et maîtrisent la technologie permettant de produire des automobiles. Les échanges intrabranches ne s’expliquent donc pas par des différences entre pays, mais par d’autres facteurs.

La différenciation et la qualité des produits

différenciation des produits
Stratégie d’une entreprise consistant à doter son produit de caractéristiques spécifiques, voire uniques, afin de ne pas le placer en concurrence directe avec des produits de même type. Voir également : différenciation horizontale, différenciation verticale.

Les échanges entre pays comparables sont souvent des échanges intrabranches portant sur des biens et services similaires, mais pas strictement identiques. Si l’on s’appuie sur l’exemple évoqué plus haut de la branche automobile, toutes les voitures ne sont pas identiques : ce sont des produits différenciés. Chaque marque et chaque modèle produits par une seule et même entreprise ont des caractéristiques uniques en termes de conception, de performances, qui les différencient des voitures fabriquées par d’autres entreprises.

Les marchés de produits différenciés reflètent des différences de préférences des consommateurs, différences qui portent sur les caractéristiques des produits et non sur les produits eux-mêmes.

différenciation horizontale
Stratégie consistant à offrir des produits de gamme et de qualité identique, mais aux caractéristiques différentes (marque, design…). Voir également : différenciation des produits, différenciation verticale.
différenciation verticale
Stratégie consistant à offrir des produits de gammes et de qualités différentes. Voir également : différenciation des produits, différenciation horizontale.

La différenciation des produits prend deux formes : la différenciation horizontale et la différenciation verticale.

Intéressons-nous d’abord à la différenciation horizontale. Dans le Tableau 2.7 vous sont présentés deux modèles de voitures, produits l’un par une entreprise allemande, l’autre par une entreprise française. Ces modèles font partie de la même gamme, celle des citadines, sont offerts à des prix proches (19 550 euros pour la Polo et 18 800 euros pour la Clio) et visent donc le même segment de clientèle, à pouvoir d’achat comparable. Comment expliquer que la France et l’Allemagne échangent de tels produits ? Tout simplement par le fait que si ces deux modèles présentent des caractéristiques proches (chevaux, motorisation, sièges…), ils diffèrent par la couleur, le design, les équipements optionnels, la marque.

Prix (€)
Une Polo Volkswagen 19 550
Une Renault Clio 18 800

Tableau 2.7 Différenciation horizontale.

Prix (€)
Une Ferrari 599 XX 319 495
Une Peugeot 208 15 900

Tableau 2.8 Différenciation verticale.

La logique est différente dans le cas de la différenciation verticale (Tableau 2.8) : vous le savez, certains consommateurs peuvent se permettre d’avoir des goûts de luxe en matière automobile alors que le consommateur moyen cherche avant tout à acquérir un véhicule qui satisfait son besoin de se déplacer. La demande de ces consommateurs porte donc sur des produits différenciés verticalement (effet de gamme, qualité différente) que les entreprises nationales ne fabriquent pas nécessairement.

Le commerce international entre pays comparables est motivé par le fait qu’il augmente la variété des produits disponibles pour les consommateurs : ceux-ci ont en effet une préférence pour la variété. Supposons que deux pays soient strictement identiques : ils n’ont chacun aucun avantage comparatif, donc aucun intérêt à se spécialiser et à échanger. En situation d’autarcie, le nombre de variétés et de gammes offertes dans chaque pays est limité : il est en effet impossible pour les entreprises de dégager des économies d’échelle sur un grand nombre de produits différenciés. En revanche, en situation de libre-échange, les consommateurs peuvent se procurer à la fois les variétés et gammes nationales et étrangères : des pays comparables ont donc intérêt à échanger, même en l’absence d’avantage comparatif, car cela contribue au bien-être des consommateurs.

qualité des produits
Caractéristiques des produits qui les rendent meilleurs que les autres.

Les produits échangés à l’échelle internationale se distinguent aussi par leur qualité. Observez le Tableau 2.9 et le Graphique 2.5 avant de faire la Question 2.13.

Équipement du logement Produits agro-alimentaires Habillement et accessoires Pharmacie Hygiène-beauté
Allemagne 1 1 2 1
Espagne 6 8 9 8
Italie 5 6 3 7
France 2 2 4 3
Royaume-Uni 3 5 6 4
Chine 10 10 10 10
États-Unis 7 3 5 5
Japon 4 4 1 2
Asie hors Chine et Japon 9 9 8 6
Pays de l'Europe centrale et orientale 8 7 7 9

Tableau 2.9 Classement des dix premiers exportateurs mondiaux de biens de consommation en termes de qualité.

www.rexecode.fr, « Enquête Compétitivité 2018 : classement des 10 principaux exportateurs mondiaux de biens de consommation », 11 juin 2019. Note : enquête menée auprès de 480 importateurs dans six pays européens (France, Allemagne, Belgique, Royaume-Uni, Italie, Espagne) auprès de la personne qui décide du choix des fournisseurs en matière d’importation.

Graphique 2.5 Les dix premiers partenaires commerciaux de la France (cumul octobre 2018–septembre 2019 en pourcentage).

lekiosque.finances.gouv.fr, consulté le 4.12.2019.

Question 2.13 Complétez le texte

Hormis la Chine et la Pologne, les principaux partenaires commerciaux de la France sont des pays de niveau de développement . Par exemple, 14,1 % des exportations françaises sont à destination et des importations françaises proviennent de ce même pays, qui est donc le partenaire commercial de la France. Ainsi que nous l’avons vu dans la partie précédente, ces échanges peuvent s’expliquer par la des produits échangés, mais aussi par leur  : l’Allemagne est ainsi au rang du classement pour les produits des branches équipement du logement, les produits agro-alimentaires et ceux de pharmacie hygiène-beauté ; la France est également classée pour la qualité des produits de ces branches. Il y a donc des échanges de produits en raison de leur qualité. Le deuxième partenaire commercial de la France en termes d’importations est mais ces échanges ne s’expliquent pas par la qualité des produits, car ce pays n’est classé qu’au rang du classement.

Vous l’aurez compris dans cette sous-section, les échanges intrabranches entre pays comparables s’expliquent par la demande de différenciation et de qualité exprimée par les agents économiques.

La fragmentation de la chaîne de valeur

fragmentation de la chaîne de valeur
Les étapes qui mènent de la conception à la commercialisation d’un produit sont réparties entre plusieurs pays selon les avantages qu’ils offrent. La fragmentation de la chaîne de valeur est simple lorsqu’il n’y a qu’un seul passage de frontière et complexe lorsqu’il y a au moins deux passages de frontières.

Ces échanges intrabranches entre pays comparables peuvent aussi s’expliquer par des facteurs liés à l’offre, notamment par l’intérêt, pour les entreprises, de procéder à une fragmentation de la chaîne de valeur.

Pour comprendre pourquoi une entreprise a intérêt à répartir les étapes de la production des composants et du bien final dans différents pays, revenons d’abord à Adam Smith et à une phrase célèbre tirée de son ouvrage Recherches sur la nature et les causes de la richesse des nations (1776) : « Les plus grandes améliorations dans la puissance productive du travail, et la plus grande partie de l’habileté, de l’adresse, et de l’intelligence avec laquelle il est dirigé ou appliqué, sont dues, à ce qu’il semble, à la division du travail. » Autrement dit, un producteur spécialisé qui se concentre sur un nombre limité de tâches ou de produits est plus productif.

Cet accroissement de la productivité lié à la spécialisation est l’une des raisons de la fragmentation de la chaîne de valeur au sein de l’entreprise Airbus. Observez le Tableau 2.10 : vous constaterez que les composants des Airbus sont produits dans quatre pays comparables et assemblés en partie en Allemagne, en partie en France, à Toulouse. Airbus est un bon exemple d’échanges liés à une chaîne de valeur complexe, échanges facilités par la libre-circulation des biens et des travailleurs au sein de l’Union européenne.

Pièces de l’A380 Fabriquées en
Nez France : Saint-Nazaire et Méaulte
Fuselage avant Allemagne : Hambourg
Capot ventral Espagne : Getafe
Mâts réacteurs France : Saint-Éloi
Ailes Royaume-Uni : Broughton
Fuselage central France : Saint-Nazaire
Fuselage arrière Allemagne : Hambourg
Volets Allemagne : Brême
Ailerons France : Nantes
Cône arrière Espagne : Getafe
Empennage horizontal Espagne : Cadix et Getafe
Dérive verticale Allemagne : Stade

Tableau 2.10 La répartition de la production de l’entreprise Airbus dans l’Union européenne.

Airbus.

C’est pour bénéficier de rendements d’échelle croissants qu’Airbus fragmente la chaîne de valeur au niveau européen et confie les différentes étapes de la production des composants de ces avions et de leur assemblage à des sites spécialisés.

Grâce à la fragmentation de la chaîne de valeur, Airbus bénéficie ainsi d’une baisse des coûts unitaires de ses avions.

Vous vous posez peut-être à ce stade la question de savoir comment les entreprises procèdent pour fragmenter la chaîne de valeur mondiale : si vous vous reportez au Tableau 2.10, vous constaterez qu’Airbus recourt à des filiales (Airbus Allemagne, par exemple) qu’elle détient en partie ou en totalité, mais qu’elle fait aussi appel à d’autres entreprises, comme Rolls-Royce pour ses moteurs. Vous aurez une réponse plus précise à cette question dans la Section 2.3 car la fragmentation de la chaîne de valeur ne s’effectue pas seulement entre pays comparables, mais aussi à l’échelle internationale, entre pays de niveaux de développement différents.

Synthèse

Les échanges internationaux et la spécialisation internationale ne s’expliquent pas seulement par des différences entre les pays : des flux d’échanges ont lieu entre des pays comparables en termes de niveau de développement, de productivité, de dotations factorielles et technologiques ; ces échanges sont souvent de type intrabranche. Ils s’expliquent par des facteurs liés à la demande (la différenciation, horizontale et verticale, des produits, et leur qualité) et des facteurs liés à l’offre (la fragmentation de la chaîne de valeur qui permet de dégager des rendements d’échelle croissants et des économies d’échelle).

2.3 Quels sont les déterminants de la compétitivité ?

Pourquoi la productivité des firmes sous-tend-elle la compétitivité d’un pays ?

Qu’est-ce que la compétitivité d’un pays ?

Regardez la vidéo « La compétitivité, c’est quoi ? Et comment l’améliorer ? » de Dessine-moi l’éco. En vous appuyant sur cette vidéo, répondez aux Questions 2.14 à 2.17.

Question 2.14 Choisissez les bonnes réponses

Qu’apporte la compétitivité de ses entreprises à un pays ?

  • Elle lui permet de produire plus avec les mêmes quantités de facteurs de production.
  • Elle lui permet d’exporter ses produits.
  • Elle lui permet de limiter les importations de produits étrangers.
  • Elle lui permet de limiter le nombre d’entreprises concurrentes sur le marché.
  • Il s’agit ici de la productivité.
  • Les produits de ses entreprises sont attractifs.
  • Les produits des entreprises nationales sont plus attractifs.
  • La compétitivité permet d’affronter la concurrence, mais elle n’élimine pas les concurrents.

Question 2.15 Choisissez les bonnes réponses

Quelles sont les sources de la compétitivité-prix ?

  • La productivité.
  • Le coût des facteurs de production.
  • L’innovation.
  • L’image de marque de l’entreprise.
  • Les gains de productivité permettent de réduire les coûts unitaires de production et d’augmenter la compétitivité-prix.
  • Leur baisse permet à la firme de baisser ses prix et d’être plus compétitive.
  • Les produits innovants se vendent bien même si leur prix est supérieur.
  • Une firme qui a une bonne image de marque parviendra à vendre ses produits à un prix plus élevé que ses concurrents.

Question 2.16 Choisissez les bonnes réponses

Quelles sont les sources de la compétitivité hors-prix ?

  • Le taux de change, c’est-à-dire la valeur relative de la monnaie nationale par rapport aux autres monnaies.
  • L’intensité de la concurrence.
  • La qualité du produit.
  • L’innovation du produit
  • Une baisse du taux de change permet de baisser les prix des produits dans la monnaie étrangère : c’est la compétitivité-prix qui s’améliore.
  • L’intensité de la concurrence pousse les entreprises à améliorer leur compétitivité (prix et hors-prix), mais n’est pas une source de compétitivité hors-prix.
  • Un produit de meilleure qualité peut être attractif même si son prix est plus élevé.
  • Un produit innovant se différencie des autres et se vend même à des prix plus élevés.

Question 2.17 Complétez le texte

Comment améliorer la compétitivité d’un pays ?

  1. La compétitivité-prix

Il faut agir sur le taux de change, la qualification des travailleurs, le niveau des salaires et les taux d’intérêt qui vont dépendre ainsi que sur l’organisation efficace de la production, l’incorporation du progrès technique aux machines qui dépendent plus .

  1. La compétitivité hors-prix

Il faut agir sur la qualité des produits ou leur positionnement en gamme, ce qui dépend mais aussi sur la constitution de pôles de compétitivité ou l’environnement réglementaire qui dépendent .

compétitivité
Aptitude à faire face à la concurrence. Il est question de compétitivité-prix quand elle est fondée sur la capacité à offrir des prix plus faibles que ceux des concurrents. La compétitivité est qualifiée de hors-prix quand elle est fondée sur la qualité et la différenciation des produits, sur l’innovation.
compétitivité
Aptitude des entreprises à faire face à la concurrence et par conséquent la capacité d’un pays à exporter. Voir également : compétitivité-prix, compétitivité hors-prix.

La compétitivité désigne donc l’attractivité des biens et services que les entreprises produisent pour les autres entreprises ou pour les consommateurs étrangers. Elle mesure ainsi l’aptitude des entreprises à faire face à la concurrence et, par conséquent, la capacité d’un pays à exporter.

compétitivité-prix
Aptitude à faire face à la concurrence que se livrent les entreprises sur les prix. À produit ou service équivalent, l’entreprise la plus compétitive est celle qui propose les prix les plus faibles.

La compétitivité-prix dépend des prix des exportations, déterminés par les coûts de production et de la productivité. Elle désigne l’aptitude à faire face à la concurrence que se livrent les entreprises sur les prix. À produit ou service équivalent, la plus compétitive est celle qui propose les prix les plus faibles.

compétitivité hors-prix
Capacité d’une entreprise à résister à la concurrence sans baisser les prix de ses produits. Elle y parvient malgré des prix équivalents, voire supérieurs, parce que ses produits sont innovants, de meilleure qualité ou qu’ils se différencient des autres.

La compétitivité hors-prix relève de la stratégie des entreprises. Elle désigne la capacité d’une entreprise à résister à la concurrence sans baisser les prix de ses produits. Ainsi, elle continue à être compétitive et à vendre ses produits malgré des prix équivalents, voire supérieurs, parce qu’ils sont innovants, de meilleure qualité ou qu’ils se différencient des autres.

Comment la productivité peut-elle améliorer la compétitivité d’une entreprise ?

Productivité et compétitivité-prix

Illustration 2.3 Productivité et compétitivité-prix.

productivité
Quantité produite divisée par la quantité d’un facteur de production qui l’a permise. Par exemple, la productivité du travail par tête se mesure en divisant la quantité produite par le nombre de salariés ; la productivité horaire du travail se mesure en divisant la quantité produite par le nombre d’heures travaillées (lui-même évalué par le produit du nombre de salariés par la durée du travail).

Pour améliorer sa compétitivité-prix, une entreprise doit pouvoir maîtriser le coût de production moyen ou unitaire de ses produits, on parle de compétitivité coût. Le coût unitaire dépend à la fois des coûts de production et de la productivité, c’est-à-dire du rapport entre la valeur ajoutée et le volume des facteurs de production mobilisés pour produire.

Graphique 2.6 Comment une firme de cosmétique peut-elle améliorer sa compétitivité-prix ?

Prix du marché mondial (€) Production en volume de l’entreprise (unités) Coût unitaire (€)
12,50 1 000 000 11,20

Maîtriser son coût unitaire et améliorer sa compétitivité-prix ?

Cette entreprise a un coût unitaire (ou moyen) inférieur au prix du marché : ce profit lui permettrait de pratiquer un prix inférieur au prix mondial et d’être compétitive. Comment faire pour encore augmenter sa compétitivité-prix ?

Prix du marché mondial (€) Production en volume de l’entreprise (unités) Coût unitaire (€)
12,50 1 000 000 11,20

Maîtriser son coût unitaire et améliorer sa compétitivité-prix ? Réduire ses coûts de production

Cette entreprise a des coûts liés à ses consommations intermédiaires (détruites ou transformées lors du processus de production), au travail et au capital fixe (facteurs de production) qu’elle utilise pour produire.

Prix du marché mondial (€) Production en volume de l’entreprise (unités) Coût unitaire (€)
12,50 1 000 000 10,50

Maîtriser son coût unitaire et améliorer sa compétitivité-prix ? Réduire ses coûts de production

Si l’entreprise obtient une réduction de 700 000 euros des factures de ses fournisseurs, le total de ses coûts de production baisse et le coût unitaire va baisser proportionnellement, car le volume produit ne change pas. La compétitivité-prix s’améliore.

Prix du marché mondial (€) Production en volume de l’entreprise (unités) Coût unitaire (€)
12,50 1 000 000 10,50

Maîtriser son coût unitaire et améliorer sa compétitivité-prix ? Accroître sa productivité

La productivité mesure le rapport entre la valeur ajoutée par l’entreprise et le volume des ressources qu’elle mobilise, en particulier ses facteurs de production : le travail et le capital. En accroissant la productivité de 25 %, que se passe-t-il ?

Prix du marché mondial (€) Production en volume de l’entreprise (unités) Coût unitaire (€)
12,50 1 000 000 9,80

Maîtriser son coût unitaire et améliorer sa compétitivité-prix ? Accroître sa productivité

Même production avec moindre quantité de facteurs de production ou plus de production avec les mêmes quantités de facteurs de production. Choisissons d’accroître la production. Le volume des facteurs et leurs coûts n’augmentent pas. Il faut cependant augmenter la quantité de consommations intermédiaires utilisées. Le coût unitaire baisse puisque les coûts augmentent moins vite que la production. La compétitivité-prix s’améliore encore… ce qui devrait permettre de vendre la production supplémentaire.

Productivité et compétitivité hors-prix

Nous avons vu en quoi la productivité permettait de baisser les prix en raison d’une augmentation des quantités produites. Voyons maintenant en quoi la qualité, l’innovation et la différenciation des produits sont liées à la productivité.

Afin de vendre ses produits sans avoir à baisser leurs prix, une entreprise doit différencier ses produits de ceux des concurrents. Il peut s’agir d’une différence objective du produit du fait de sa qualité ou de son caractère innovant, mais aussi d’une différence subjective que perçoit le consommateur du fait de l’image de l’entreprise ou de ses marques.

Ainsi, comme nous l’avons vu dans la Section 2.2, il y a de nombreuses différences objectives de qualité et d’innovation entre une Ferrari 599XX et une Peugeot 208 : c’est une différenciation verticale. Ici, la compétitivité se caractérise par la capacité de Ferrari à vendre ce modèle cent fois plus cher que la Peugeot 208 : il s’agit bien de compétitivité hors-prix, d’une aptitude à résister à la concurrence d’un modèle vendu cent fois moins cher.

Prenons un exemple de produits ne se différenciant ni par la qualité ni par l’innovation, deux paquets de 500 grammes de spaghettis : ils sont fabriqués dans la même usine, avec les mêmes ingrédients et la même recette.

Pâtes Prix (€)
Panzani 0,79
Casino 0,45

Tableau 2.11 Productivité et compétitivité hors-prix.

Examinons en détail la productivité dans ce cas précis. On voit que la seule différence (à quantité produite égale) est le prix :

En effet, les facteurs de production sont les mêmes puisque les deux paquets de spaghettis sont produits dans la même usine, à Marseille. Comme il s’agit de la même recette, les consommations intermédiaires sont strictement identiques. La différence de productivité, pour la même quantité produite, provient donc seulement du prix.

La productivité supérieure de Panzani est donc indissociable de sa compétitivité hors-prix. Ce n’est que parce que les consommateurs préfèrent cette marque que la firme parvient à vendre ses spaghettis plus cher et à maintenir une meilleure productivité.

Revenons à l’exemple de la Ferrari 599XX et de la Peugeot 208. Dans ce cas aussi la préférence des consommateurs permet à Ferrari de vendre sa voiture beaucoup plus cher, mais cette préférence est basée sur des éléments objectifs qui jouent sur la productivité de cette entreprise.

La qualité de cette voiture exige des consommations intermédiaires beaucoup plus coûteuses, un moteur cinq fois plus puissant, un aspirateur intégré au coffre pour assurer la stabilité contre de simples amortisseurs…

L’innovation est omniprésente et exige des facteurs de production très différents : une fabrication artisanale dans un laboratoire de haute technologie pour Ferrari, une production standardisée à la chaîne pour Peugeot.

Cette stratégie de Ferrari dépend de sa capacité à maintenir des prix presque cent fois plus élevés sans que ses consommations intermédiaires ni ses facteurs de production lui coûtent cent fois plus cher. C’est ainsi que sa productivité contribue à sa compétitivité hors-prix.

La productivité d’une firme fournit donc une mesure de sa capacité à gagner des parts de marché et à faire croître son activité à long terme, c’est-à-dire de sa compétitivité.

Comment améliorer la compétitivité d’un pays ?

Ces vingt dernières années, l’Allemagne a su améliorer son attractivité, notamment en renforçant sa compétitivité-prix. Il apparaît tout d’abord que l’Allemagne, premier pays exportateur d’Europe, a creusé l’écart avec ses partenaires européens, dont la France. En effet, de 2000 à 2016 ses exportations ont augmenté de 150 % contre 75 % seulement pour les exportations françaises (Graphique 2.7a).

Cette tendance s’explique en partie, grâce au Graphique 2.7b qui montre l’évolution de la productivité du travail (une approximation de la productivité globale des facteurs). La productivité en Allemagne a bien augmenté plus qu’en France, ce qui sous-tend sa compétitivité-prix et sa compétitivité hors-prix.

Le Graphique 2.7c apporte une information complémentaire : le coût unitaire du travail a beaucoup moins augmenté en Allemagne que dans les pays européens concurrents du fait d’une politique de modération salariale. Ceci améliore la compétitivité allemande.

Graphique 2.7a Indice des exportations des principaux pays de la zone euro base 100 en 2000 (2000–16).

Statistiques de l’OCDE sur les comptes nationaux.

Graphique 2.7b Évolution de la productivité réelle du travail par heure travaillée, en pourcentage (2000–16).

Eurostat.

Graphique 2.7c Évolution du coût unitaire de main-d’œuvre en pourcentage (2000–16).

Eurostat.

Il y a cependant une exception : l’Italie. En effet, la productivité italienne n’a quasiment pas augmenté durant la période et le coût unitaire de la main-d’œuvre a été à la hausse bien plus qu’en France, or les exportations italiennes ont davantage augmenté que les exportations françaises. C’est dire que l’Italie bénéficie d’une compétitivité hors-prix supérieure à la France, que les produits de ses firmes se différencient et se vendent mieux malgré un double handicap de productivité et de coût du travail ; il peut s’agir de leur qualité comme de leur image.

On voit donc que les pouvoirs publics peuvent contribuer à la compétitivité-prix de leur pays (en veillant à la modération des salaires, des taux d’intérêt et du taux de change) et à sa compétitivité hors-prix (en favorisant l’innovation, la qualité et en cultivant une image différenciée et valorisante). Cependant, l’essentiel de la compétitivité d’un pays provient de la productivité de ses entreprises ; Paul Krugman qualifiait la compétitivité de « mot poétique pour exprimer la productivité d’un pays ».3

Synthèse

L’attractivité des biens et services des entreprises d’un pays dépend à la fois de la compétitivité-prix et de la compétitivité hors-prix. Cette compétitivité traduit la capacité qu’a un pays à exporter.

La compétitivité-prix d’une firme s’appuie sur la maîtrise des coûts unitaires. Maîtriser les coûts unitaires suppose, de la part d’une entreprise, de limiter ses coûts de production davantage que ses concurrents, d’améliorer sa productivité plus rapidement que ses concurrents ou de combiner ces deux aspects.

La compétitivité hors-prix des entreprises s’appuie sur la différenciation de leurs produits du fait de la qualité ou de l’innovation de leurs produits ou d’une perception différente de leurs produits par les consommateurs. Cette capacité à vendre son produit même si son prix est plus élevé suppose un accroissement de leur productivité tant que le surcroît de valeur ajoutée (venant du surcroît de prix) ne nécessite pas un surcroît trop élevé en termes de facteurs de production.

Les pouvoirs publics contribuent enfin à la compétitivité des entreprises d’un pays en améliorant leur environnement réglementaire.

Pourquoi les firmes internationalisent-elles la chaîne de valeur ?

Qu’est-ce que l’internationalisation de la chaîne de valeur ?

« Designed by Apple in California, assembled in China », cette indication, qui apparaît sur la plupart des produits de cette marque, montre bien que les échanges internationaux ne consistent plus seulement à produire dans un pays des biens ou des services destinés à des consommateurs finals à l’étranger.

chaîne de valeur
Ensemble des étapes qui mènent de la conception à la commercialisation d’un produit. Ces étapes concernent des étapes précédant la production (recherche-développement, conception, achats), la production et l’assemblage et des étapes suivant la production (transport, marketing, services). Voir également : fragmentation de la chaîne de valeur.
internationalisation de la chaîne de valeur
Développement des flux de services, de matières premières et de composants qui traversent les frontières – souvent à de nombreuses reprises – avant d’être intégrés en bout de chaîne dans des produits finis, qui sont ensuite expédiés aux consommateurs du monde entier.

Vous avez déjà observé dans la Section 2.2 que les chaînes de valeur se fragmentent. Or, près de la moitié des échanges internationaux repose sur des chaînes de valeur, c’est-à-dire des flux de matières premières, de produits intermédiaires, de services de transport, de conception ou de marketing ou autres qui traversent les frontières une ou plusieurs fois avant que le produit fini ne soit vendu à son consommateur. On parle alors d’internationalisation des chaînes de valeur ou de chaînes de valeur mondiale.

« Ainsi, un smartphone assemblé en Chine peut inclure des éléments de conception graphique en provenance des États-Unis, du code informatique élaboré en France, des puces électroniques fabriquées à Singapour et des métaux précieux extraits en Bolivie. »4

Question 2.18 Choisissez les bonnes réponses

La Figure 0.1 du Rapport sur le développement dans le monde 2020 abrégé de la Banque mondiale illustre l’internationalisation croissante des chaînes de valeur dans le monde de 1970 à 2015. Que peut-on conclure des données de ce graphique ?

  • De 1970 à 2015, les échanges internationaux liés aux chaînes de valeur mondiales ont augmenté de 11 points.
  • En 2015, les échanges internationaux liés aux chaînes de valeur mondiales représentent 11 points de plus qu’en 1970 dans l’ensemble des échanges mondiaux.
  • Rien ne semble pouvoir freiner l’internationalisation des chaînes de valeur depuis 1970 dans le monde.
  • La crise financière de 2008 a eu des effets sur l’internationalisation des chaînes de valeur.
  • C’est la part des chaînes de valeur mondiales dans les échanges internationaux qui a augmenté de 11 points.
  • Leur part était de 37 % en 1970 et de 48 % en 2015, soit 11 points de plus.
  • On observe que depuis la crise financière de 2008 la part des chaînes de valeur dans les échanges internationaux ne croît plus.
  • En effet, depuis la crise financière de 2008 la part des chaînes de valeur dans les échanges internationaux ne croît plus.

Nous allons voir tout d’abord les raisons de cette internationalisation, puis les formes de ces chaînes de valeur mondiales.

Pourquoi les firmes participent-elles à l’internationalisation de la chaîne de valeur ?

Dans la sous-section précédente, nous avons mentionné des entreprises comme Apple, qui choisissent de réaliser certaines étapes de fabrication de leurs produits dans des régions du monde où les coûts sont peu élevés. Dans la plupart des industries manufacturières, les entreprises implantées dans les pays développés transfèrent une part significative de leur production, auparavant fabriquée localement, dans des pays émergents ou en développement où les salaires sont plus faibles.

Révolution industrielle
Une vague d’avancées technologiques et de changements organisationnels qui a commencé en Grande-Bretagne au 18e siècle, et qui a transformé une économie fondée sur l’agriculture et l’artisanat en une économie du commerce et de l’industrie.

D’autres industries, notamment l’habillement, ont localisé leur production essentiellement dans des pays à bas salaires. Plus de 97 % des vêtements et plus de 98 % des chaussures vendus aux États-Unis par des marques et détaillants américains sont fabriqués à l’étranger. La Chine, le Bangladesh, le Cambodge, l’Indonésie et le Vietnam sont devenus les principaux exportateurs mondiaux de textile et de vêtements. À l’époque de la Révolution industrielle, le plus gros exportateur de textile au monde était le Royaume-Uni.

dumping social, fiscal et environnemental
Mise en concurrence des règles sociales, fiscales et environnementales des pays fondée sur une baisse de la protection des salariés, sur une baisse de la fiscalité des entreprises ou sur une moindre protection de l’environnement.

De plus, dans les pays en développement, les coûts additionnels liés aux règles sanitaires et de sécurité sont beaucoup moins élevés, la fiscalité sur les entreprises est faible pour attirer les investissements étrangers et les réglementations environnementales sont souvent moins strictes ; ces pays mènent une politique de dumping social, fiscal et environnemental.

Pourtant, l’objectif d’Apple et des autres entreprises ne se réduit pas à la recherche de la main-d’œuvre la moins chère possible. Les salaires de certains pays où Apple implante une partie de sa production, comme l’Allemagne, sont plus élevés qu’aux États-Unis.

investissements directs à l’étranger
Toutes les opérations qui permettent à une entreprise de détenir 10 % ou plus du capital d’une autre entreprise à l’étranger afin de pouvoir influencer sa gestion, voire de la maîtriser.

Le Graphique 2.8 montre la destination des investissements directs à l’étranger (IDE) des entreprises américaines lorsqu’elles ont investi dans d’autres entreprises à l’étranger entre 2001 et 2012. Ils ont pour but d’exercer un contrôle sur l’utilisation des ressources au sein de l’entreprise étrangère.

Graphique 2.8 Part des investissements directs à l’étranger des entreprises américaines dans d’autres pays en fonction du niveau des salaires par rapport aux États-Unis (en pourcentage du total des IDE) (2001–12).

United Nations Conference on Trade and Development. 2014. Bilateral FDI Statistics. Note : les données concernent les flux d’IDE américains. Les pays identifiés comme ayant des salaires manufacturiers supérieurs à ceux des États-Unis sont les pays dans lesquels, selon le département du Travail des États-Unis (US BLS International Labor Comparisons), la moyenne du salaire horaire dans le secteur manufacturier sur la période 2005–09 est supérieure à la moyenne américaine observée sur la même période.

De façon surprenante, lorsque les entreprises américaines ont décidé de produire hors des États-Unis, elles se sont majoritairement orientées vers l’Europe, principalement dans des pays où les salaires étaient plus élevés qu’aux États-Unis. Les Pays-Bas, l’Allemagne et le Royaume-Uni ont à eux seuls reçu plus d’investissements américains que l’Asie et l’Afrique réunies. De ce point de vue, la localisation des usines Ford dans le monde présentée dans le Graphique 2.1 est atypique, puisque Ford a bien plus de salariés en Chine, au Brésil, en Thaïlande et en Afrique du Sud qu’en Allemagne, au Royaume-Uni, au Canada, en Belgique et en France.

La localisation de chaque activité des chaînes de valeur n’a donc pas comme seul fondement le coût de la main-d’œuvre :

Là encore, les politiques des États peuvent favoriser la localisation de certaines activités, par la signature de traités de libre-échange et l’harmonisation de normes techniques avec d’autres pays pour élargir le marché accessible, ou la protection de la propriété intellectuelle pour attirer des activités innovantes notamment.

L’internationalisation de la chaîne de la valeur s’explique donc par les mêmes raisons que les échanges internationaux dans leur ensemble : par les différentes dotations factorielles et technologiques des pays d’implantation, par les différences de coûts relatifs de production, par les économies d’échelle et par l’accès au marché. La spécificité des échanges des chaînes de valeur mondiales réside dans le fait que ceux-ci font suite à une spécialisation sur la production d’un élément d’un produit fini et pas sur la production du produit fini lui-même.

Comment les firmes participent-elles à l’internationalisation de la chaîne de valeur ?

L’internationalisation de la chaîne de valeur se réalise de différentes manières.

Des firmes achètent des produits intermédiaires ou vendent leurs produits à des firmes étrangères parce que les prix mondiaux du marché concerné les y incitent.

Composants Pays Exportations (milliards €)
Selles Chine 100
Italie 85
Espagne 16
Cadres Chine 977
Vietnam 147
Italie 66
Freins Japon 200
Singapour 172
Malaisie 152
Roues Chine 170
Italie 28
France 26
Pédaliers et chaînes Japon 150
Chine 137
Singapour 117

Tableau 2.12 Les pays exportateurs des principaux composants d’une bicyclette.

OECD, Trading for Development in the Age Of Global Value Chains, 2020

Le Tableau 2.12 montre que le marché de la bicyclette est un marché mondial où s’échangent des composants provenant de nombreux pays. Par exemple, l’entreprise française Lapierre conçoit et assemble des bicyclettes qu’elle distribue dans le monde entier à partir de cadres qu’elle achète en Chine, de freins et de dérailleurs qu’elle achète au Japon et de selles italiennes. À tout moment, selon l’évolution du prix et de la qualité des composants, elle peut choisir de se fournir dans d’autres pays.

externalisation
Décision de confier à une entreprise extérieure une partie de la production que réalisait l’entreprise.

Des firmes externalisent certaines de leurs activités auprès de firmes étrangères avec lesquelles elles signent des partenariats stratégiques (parfois exclusifs).

Lorsqu’une entreprise externalise une partie de son activité, elle en confie la production à une entreprise partenaire indépendante avec laquelle elle signe un contrat à long terme. Ce contrat précise les quantités et les prix de ce qui doit être fourni (bien ou service), mais aussi d’autres éléments (secret industriel, techniques de production, par exemple). Il peut s’agir d’un contrat exclusif : dans ce cas l’entreprise partenaire ne produit que pour l’entreprise qui a externalisé.

Question 2.19 Choisissez les bonnes réponses

Quelles sont les affirmations correctes d’après cette page d’un rapport publié par Apple ?

  • Apple externalise toutes ses activités, même la conception de ses produits.
  • Les fournisseurs d’Apple lui vendent des biens, pas des services.
  • Le contrat qui lie Apple et ses fournisseurs ne porte pas uniquement sur les produits.
  • Apple contrôle que ses fournisseurs respectent des normes sociales et environnementales.
  • Dans le rapport, aucune activité de conception ni de recherche n’apparaît ; celles-ci restent intégrées et produites par Apple.
  • L’assemblage, la logistique, la vente et le recyclage sont des services qui ajoutent de la valeur aux produits d’Apple.
  • En effet, Apple détermine non seulement les biens et services fournis mais aussi certaines conditions dans lesquelles il faut les produire (pas de travail des enfants, par exemple).
  • Apple affirme évaluer ses fournisseurs, veiller à l’application de règles portant sur « les personnes et les communautés » et pas seulement les produits.

La franchise est une forme fréquente d’externalisation des activités de distribution d’une entreprise, celles qui sont les plus proches du consommateur final. Voyons, par exemple, comment une entreprise indépendante peut signer un partenariat de franchise avec Starbucks. En France, la firme Starbucks va exiger un droit d’entrée de 35 000 euros et occasionner 500 000 euros d’investissement pour ouvrir un salon de café. Bien évidemment, la franchise est un partenariat exclusif, l’entreprise indépendante ne peut pas vendre d’autres produits que ceux de Starbucks. S’ajoutent ensuite deux redevances : 6 % du chiffre d’affaires au titre de l’exploitation et 3 % au titre de la publicité. Le droit d’entrée et les redevances permettent de financer la conception du design et des procédures d’opération, le marketing, la formation du personnel. Une fois le contrat signé et le site d’implantation validé par Starbucks commence un programme d’immersion de ces franchisés indépendants.

Grâce à des investissements directs à l’étranger (IDE), les firmes multinationales localisent à l’étranger des filiales qui réalisent une partie de leur valeur ajoutée.

Une filiale est une entreprise qui appartient à un groupe : son capital est détenu à plus de 50 % par une société mère. Si un groupe possède une ou des filiales qui produisent à l’étranger, il s’agit d’une firme multinationale (ou firme transnationale). Une firme multinationale implante des filiales à l’étranger grâce à des investissements directs à l’étranger : absorption d’une entreprise étrangère (par l’achat de la majorité de ses actions), réinvestissement des bénéfices de la filiale ou création à l’étranger d’une nouvelle filiale du groupe.

Le Tableau 2.13 indique que la firme multinationale L’Oréal a de nombreuses filiales à l’étranger, essentiellement constituées d’entreprises produisant à proximité des principaux marchés. Les échanges entre ces filiales sont appelés commerce intrafirme, car ils ne transitent pas par le marché. Par exemple, L’Oréal Égypte n’offre pas ses produits à son concurrent Estée Lauder, mais les vend à d’autres filiales au prix déterminé par la société mère.

Zone géographique Usines Produits
Europe 21 Cosmétique active, produits professionnels, matières premières, produits grand public, L’Oréal Luxe
Afrique, Moyen-Orient 3 Produits grand public
Asie, Pacifique 6 Produits grand public, L’Oréal Luxe
Amérique du Nord 5 Produits grand public, L’Oréal Luxe
Amérique latine 4 Produits grand public

Tableau 2.13 L’implantation des usines du groupe L’Oréal.

L’Oréal, Rapport annuel, 2019.

L’internationalisation de la chaîne de valeur s’effectue donc de trois manières (Cf. Tableau 2.12) :

Un contrat de franchise est une des formes de l’externalisation.

L’internationalisation des chaînes de valeur est en grande partie maîtrisée par des firmes multinationales. Un groupe mondial peut s’appuyer à la fois sur des filiales et sur l’externalisation auprès de partenaires indépendants. Starbucks opère ainsi à l’étranger par l’intermédiaire de 5 860 salons de café qu’elle détient directement (filiales), mais aussi grâce à 7 329 salons de café franchisés (externalisation).5

Synthèse

L’internationalisation des chaînes de valeur a contribué à multiplier les échanges internationaux. Il s’agit de la production dans des pays différents des étapes successives qui vont de la conception d’un produit à sa vente au consommateur final. Elle implique qu’une partie des importations de chaque pays va être exportée de nouveau sous une forme plus élaborée après qu’une valeur aura été ajoutée au produit sur place.

Les choix de localisation internationale des étapes d’élaboration d’un produit s’expliquent par :

  • Le coût de production unitaire, c’est-à-dire surtout par les coûts des facteurs de production, en particulier de la main-d’œuvre, et par leur productivité.
  • L’accès au marché.

Cette internationalisation des chaînes de valeur s’effectue de plusieurs manières, mais elle est grandement dominée par des firmes multinationales qui externalisent certaines activités auprès d’entreprises partenaires ou qui, préférant une plus forte intégration, les produisent dans des filiales implantées à l’étranger.

2.4 Quels sont les effets du commerce international qui, pour une part, posent les termes du débat entre libre-échange et protectionnisme ?

Quels sont les effets induits par le commerce international ?

Des gains moyens en termes de baisse de prix

Dans la Section 2.2, vous avez fait connaissance avec Greta sur l’île des Délices et Carlos sur l’île du Bonheur, qui produisent et consomment tous les deux des pommes et du blé. Vous avez compris qu’il est avantageux pour chacun d’eux de se spécialiser parce que leur productivité diffère. Dans cette section, nous nous intéresserons aux effets que cette spécialisation induit, en prolongeant l’analyse de la Section 2.2.

prix relatif
Le prix d’un bien ou d’un service relativement au prix d’un autre bien ou service (habituellement exprimé sous forme d’un ratio). Par exemple, le prix relatif d’un produit A par rapport à un produit B s’écrit « quantités de produits B pour une unité du produit A ».

Supposons que Carlos peut produire au cours d’une année 3 tonnes de blé ou 1,5 tonne de pommes. Puisqu’il faut la même quantité de facteurs de production (terre et travail) pour produire 3 tonnes de blé que pour produire 1,5 tonne de pommes, chaque tonne de blé coûte autant que 0,5 tonne de pommes (1,5/3). Ainsi, le prix relatif du blé par rapport aux pommes est de 0,5, c’est-à-dire que la tonne de blé vaut 500 kg de pommes sur l’île du Bonheur.

Greta, quant à elle, peut produire 3 tonnes de pommes par an ou 1,5 tonne de blé. Le prix relatif du blé par rapport aux pommes sur l’île des Délices est donc de 2 (3/1,5).

L’île du Bonheur a donc un avantage comparatif dans la production du blé. Rappelez-vous les acquis de la Section 2.2 : une économie a un avantage comparatif dans la production d’un bien lorsqu’il est relativement moins coûteux dans cette économie (en l’absence de commerce).

Le prix relatif des pommes est simplement l’inverse du prix relatif du blé, donc si l’île du Bonheur a un avantage comparatif dans la production du blé, l’île des Délices aura un avantage comparatif dans la production de pommes. Le Tableau 2.14 synthétise les chiffres clés de cet exemple. Les prix relatifs du bien dans lequel chaque île a un avantage comparatif sont indiqués en gras.

Carlos sur l’île du Bonheur Greta sur l’île des Délices
Tonnes de blé produites chaque année 3 1,5
Tonnes de pommes produites chaque année 1,5 3
Prix relatif du blé (tonnes de pommes par tonne de blé) 1,5/3 = 0,5 3/1,5 = 2
Prix relatif des pommes (tonnes de blé par tonne de pommes) 3/1,5 = 2 1,5/3 = 0,5

Tableau 2.14 Prix relatifs du blé et des pommes sur chacune des îles.

Supposons à présent qu’il n’existe pas de coûts à l’échange (transport gratuit, absence de droits de douane) : les pommes et le blé s’échangent alors sur un seul marché unifiant les deux îles ; le prix relatif du blé et des pommes deviendra donc le même dans les deux îles. Quel sera le nouveau prix ?

En cas de commerce entre ces îles, les prix se situeront donc à un niveau intermédiaire des prix des deux économies quand elles étaient en autarcie (entre 0,5 et 2).

pouvoir de marché
Situation où un acteur du marché (l’offreur ou le demandeur) peut influencer le niveau de son prix.
gains à l’échange
Les bénéfices que chaque partie tire d’une transaction comparativement à leur situation en l’absence d’échange. Connu également sous le terme : gains du commerce.

Si Greta était la seule équipée d’une barque pour établir ce commerce, elle pourrait négocier ses pommes le plus cher possible sans que Carlos ne puisse se rendre sur l’île des Délices et voir qu’il en coûte sur place seulement 0,5 tonne de blé pour une tonne de pommes. Greta dispose donc d’un pouvoir de marché ; pour augmenter ses gains à l’échange, elle choisira un prix supérieur à 0,5. Cependant, si elle atteignait un prix de 2 tonnes de blé par tonne de pommes, elle éliminerait complètement les gains à l’échange de Carlos. À ce prix, Carlos aurait tout intérêt à produire ses pommes lui-même plutôt que les acheter à Greta. Un raisonnement identique aboutirait à un résultat symétrique si Carlos était le seul à disposer d’une barque. Les nouveaux prix s’établissent donc entre ces deux extrêmes (< 2 et > 0,5) et se rapprochent d’un pays à l’autre ; les prix des biens importés baissent dans tous les cas.

Si, contrairement à notre hypothèse, les échanges entre deux marchés nationaux sont coûteux du fait du fret, des tarifs douaniers ou d’autres coûts, les prix relatifs auront moins tendance à se rapprocher d’un pays à l’autre.

écart de prix
Différence entre le prix d’un bien dans le pays exportateur et son prix dans le pays importateur. Il intègre les coûts de transport et les taxes commerciales.

Pour illustrer les effets du commerce international sur les prix, prenons l’exemple des écarts de prix du blé entre le Royaume-Uni et les États-Unis (exprimé en pourcentage). Avant 1840, les échanges étaient faibles, l’écart de prix fluctuait beaucoup et restait important, oscillant autour de 100 % : le prix du blé était donc deux fois supérieur au Royaume-Uni. Il commença ensuite à diminuer au moment même où les coûts d’expédition se réduisaient, en raison de l’introduction de bateaux à vapeur capables d’effectuer des trajets sur une longue distance. Les échanges entre les deux pays s’intensifièrent : les quantités de blé américain importées par le Royaume-Uni augmentèrent. L’écart de prix avait presque disparu en 1914, période à laquelle le volume de blé importé par le Royaume-Uni augmenta considérablement.

Graphique 2.9 Écart de prix entre le Royaume-Uni et les États-Unis (en pourcentage) et importations britanniques de blé américain (en milliers de quintaux) (1800–1914).

Figure 3 dans Kevin H. O’Rourke et Jeffrey G. Williamson. 2005. ‘From Malthus to Ohlin: Trade, Industrialization and distribution since 1500’. Journal of Economic Growth 10 (1) (March) : pp. 5–34.

Le commerce transatlantique du blé n’est pas un exemple isolé. Les écarts de prix internationaux de nombreuses marchandises ont beaucoup diminué entre 1815 et 1914, la première ère de la mondialisation moderne qui voit s’ouvrir de nouvelles routes commerciales.

La diminution moins importante des écarts de prix à la fin du 19e siècle tient souvent à l’augmentation des droits de douane dans de nombreux pays pour des raisons que nous expliquerons plus tard, qui a contrebalancé les effets de la baisse des coûts de transport.

Puisque chaque pays se spécialise dans une production, dont le prix relatif est plus faible que dans le reste du monde, la mondialisation devrait conduire à une baisse des prix relatifs des importations. En effet, un moteur de la spécialisation réside dans le fait que chaque pays se procure davantage de produits importés que s’il les avait produits en autarcie.

Cette réduction des prix des produits échangés s’explique par la spécialisation selon la dotation factorielle et technologique de chaque pays. Cette meilleure allocation mondiale des facteurs de production sous-tend la baisse des prix observée.

Question 2.20 Complétez le texte

Supposez qu’il y ait seulement deux pays dans le monde, l’Allemagne et la Turquie, chacun ayant le même nombre de travailleurs. Au cours d’une période donnée, chaque travailleur en Allemagne peut produire trois automobiles ou vingt télévisions, chaque travailleur en Turquie peut produire deux automobiles ou trente télévisions.

  1. En Allemagne, le prix relatif des automobiles en l’absence de commerce international est de alors qu’en Turquie il est de .
  2. Supposez maintenant que l’Allemagne et la Turquie s’ouvrent à l’échange : le prix relatif mondial des automobiles sera alors compris (en l’absence de coûts à l’échange) entre et .
  3. Si le prix relatif mondial des automobiles est de 10, dans quel bien l’Allemagne va-t-elle se spécialiser ? La production .

De plus, vous l’avez découvert dans la Section 2.2, dans certains secteurs, la production de biens ou de services à grande échelle donne lieu à une baisse du coût unitaire (ou moyen), à des économies d’échelle. Le commerce international est favorable aux entreprises de ces secteurs, car il leur donne accès à de vastes marchés mondiaux, quelle que soit la taille de leur marché intérieur. À terme, le commerce international va être, dans ces secteurs, favorable au développement d’entreprises de très grande taille qui vont avoir des coûts de production unitaires très faibles et qui vont ainsi pouvoir baisser leurs prix.

L’accroissement des inégalités de revenus au sein de chaque pays

Carlos sur l’île du Bonheur et Greta sur l’île des Délices ont tous deux intérêt à commercer, alors pourquoi la question des importations et exportations est-elle souvent controversée ?

Contrairement à l’histoire de Greta et Carlos, il n’y a pas un seul habitant par pays et les échanges internationaux nés de la spécialisation des pays génèrent presque toujours à la fois des gagnants et des perdants dans chaque pays. Les processus de spécialisation et d’échange affectent différemment les régions, les industries et les ménages.

Dès lors, pour comprendre les problèmes liés à la mondialisation, il faut considérer au moins deux types d’individus à l’intérieur de chaque pays : simplifions en considérant seulement les détenteurs de capital qui vivent des profits que génèrent leurs capitaux et les salariés qui ne vivent que des salaires que génère leur travail. Commençons par un modèle à deux pays, le pays A et le pays B, dont la spécialisation est fondée sur les dotations factorielles.

Supposez, pour simplifier, que le pays A et le pays B ne produisent que deux biens, pour lesquels les rendements d’échelle sont constants : des avions commerciaux et des produits électroniques grand public (comme des consoles de jeux, des ordinateurs personnels et des télévisions).

On considère que la production d’avions est à forte intensité capitalistique alors que les produits électroniques grand public exigent relativement plus de main-d’œuvre. Supposons enfin que le travail est abondant relativement au capital dans le pays B, et qu’au contraire, dans le pays A, le capital est relativement abondant.

intensif en travail
Se dit de l’utilisation d’une plus grande quantité de travail dans la production, comparativement aux machines et autres facteurs de production. Voir également : intensif en capital.

Compte tenu de ces hypothèses, le pays B a un avantage comparatif dans la production du bien intensif en facteur de production dont elle est davantage dotée, les biens électroniques grand public dont la production intensive en travail, et un désavantage comparatif dans la production d’avions (intensif en facteur capital). Lorsque ces économies auront la possibilité de commercer entre elles, le pays A se spécialisera dans la production d’avions et le pays B dans la production de biens électroniques grand public.

Cela aura des conséquences différentes sur les détenteurs du capital et sur les salariés.

L’emploi

L’augmentation de la production d’avions dans le pays A induit un accroissement de la demande pour le facteur de production utilisé de façon intensive dans cette industrie, le capital. En revanche, le facteur travail va être relativement moins demandé et des emplois risquent d’être détruits.

Dans le pays B, c’est la demande pour le facteur travail qui augmente, les besoins en capitaux sont relativement moindres. De nombreux emplois vont être créés du fait de cette spécialisation dans l’électronique grand public.

Les inégalités de revenu

Cet exemple permet de comprendre, dans une certaine mesure, la situation relative des États-Unis et de la Chine, pour peu que l’on assimile la situation états-unienne à celle du pays A et la situation chinoise à celle du pays B. Les salariés chinois, du fait de la spécialisation de leur pays, obtiennent des salaires croissants, qui leur permettent de sortir de la pauvreté. Par ailleurs, les inégalités de revenus entre les détenteurs du capital et les salariés s’accroissent aux États-Unis du fait de leur spécialisation dans un secteur à forte intensité capitalistique.

La situation des détenteurs du capital en Chine est cependant, dans la réalité, plus complexe, car la production d’électronique grand public n’est pas financée uniquement par des capitaux chinois du fait de l’internationalisation des chaînes de valeur.

Les consommateurs, qu’ils soient salariés ou détenteurs de capitaux, vont tous bénéficier de la baisse des prix des biens importés que nous avons démontrée plus haut. De ce point de vue, le cas le plus intéressant est celui des salariés des États-Unis. En tant que consommateurs de biens électroniques, les salariés américains bénéficient des importations d’électronique grand public en provenance de Chine, car le prix des biens électroniques baisse. Ainsi, un salarié y perd en tant que travailleur, mais y gagne en tant que consommateur. Reste à savoir s’il y a compensation, cela dépend à la fois de l’évolution de son salaire et de la structure de sa consommation.

Question 2.21 Choisissez les bonnes réponses

Dans l’exemple concernant le pays A et le pays B, nous avons décrit l’impact de la mondialisation sur les inégalités de revenus entre détenteurs de capital et salariés. La même logique continuerait à s’appliquer si nous considérions d’autres facteurs de production. Par exemple, considérez deux industries qui ont besoin de travailleurs avec des niveaux de qualification différents : une industrie intensive en travail qualifié (technologies de l’information) et une industrie intensive en travail non qualifié (l’assemblage d’articles électroniques).

Que devrait-il se passer si un pays développé qui dispose d’une dotation relativement abondante en main-d’œuvre qualifiée échange avec un pays en développement qui dispose d’une dotation relativement abondante en main-d’œuvre non qualifiée ?

  • Le pays développé se spécialise dans les technologies de l’information et le pays en développement dans l’assemblage d’articles électroniques.
  • Les inégalités entre les salaires des actifs qualifiés et des actifs non qualifiés augmentent dans le pays en développement.
  • Les inégalités entre les salaires des actifs qualifiés et des actifs non qualifiés augmentent dans le pays développé.
  • Le niveau de qualification augmente dans le pays développé.
  • Chaque pays se spécialise dans l’activité la plus intensive dans le facteur de production dont il est le plus doté. Ainsi, les pays développés, qui disposent d’une main-d’œuvre plus qualifiée, se spécialisent dans les technologies de l’information qui sont intensives en travail qualifié.
  • Elles devraient diminuer, car la demande de main-d’œuvre non qualifiée est forte ce qui pousse les salaires des actifs non qualifiés à la hausse.
  • À la suite de la spécialisation, la demande de travail qualifié augmente, ce qui pousse les salaires les plus qualifiés à la hausse, alors que les salaires déjà plus bas des travailleurs non qualifiés diminuent du fait de la faible demande de travail non qualifié.
  • Pas à court terme car, même si les travailleurs non qualifiés ont intérêt à essayer de répondre à la forte demande de travail qualifié, cela n’est possible qu’en acquérant des compétences nouvelles, ce qui est long et difficile.

Lors de la première phase de mondialisation à la fin du 19e siècle, le commerce impliquait l’échange de biens agricoles nécessitant une grande quantité de terre (nourriture et matières premières, comme le coton) contre des biens manufacturés intensifs en travail. Les biens agricoles étaient exportés par des pays où la terre était abondante (et la main-d’œuvre rare), comme les États-Unis, le Canada, l’Australie, l’Argentine et la Russie. Les biens manufacturés étaient exportés par des pays du nord-est de l’Europe où la main-d’œuvre était abondante (et la terre rare), comme le Royaume-Uni, la France et l’Allemagne. Dans ce contexte, les grands perdants étaient les propriétaires terriens européens et les travailleurs des régions où la terre était abondante.

C’est pourquoi les propriétaires terriens européens se sont opposés au libre-échange et ont réussi, dans des pays comme la France et l’Allemagne, à obtenir de l’État la mise en place de droits de douane sur les importations agricoles.

Il faut noter que les échanges internationaux entre pays comparables mobilisent les mêmes facteurs de production des deux côtés de la frontière et qu’ils ne font donc ni gagnants ni perdants : ils n’ont pas d’effets sur les inégalités au sein des pays concernés.

La réduction des inégalités entre pays

Les États-Unis sont un pays développé avec une longue tradition de production de biens manufacturés. La Chine est moins développée, mais est devenue la deuxième économie du monde en exportant également des biens manufacturés. Le Graphique 2.10 montre, entre autres, l’évolution des salaires versés aux travailleurs du secteur manufacturier chinois rapportés aux salaires versés aux travailleurs du secteur manufacturier américain. Il indique, par exemple, que, en 2002, le salaire des travailleurs chinois représentait encore moins de 3 % du salaire reçu par les travailleurs américains, mais qu’en 2010 leur salaire représentait 10 % du salaire des travailleurs américains.

Graphique 2.10 Indice des salaires dans l’industrie manufacturière dans différents pays par rapport aux États-Unis entre 1950 et 2015 (salaires dans l’industrie manufacturière aux États-Unis base 100).

Andrew Glyn. 2006. Capitalism Unleashed: Finance, Globalization, and Welfare. Oxford: Oxford University Press; (2) National Bureau of Statistics of China. Annual Data; (3) Bank of England; (4) US Bureau of Labor Statistics. 2015. International Labor Comparisons. Remarque : les données annuelles du BLS (Département du Travail) américain relatives au Mexique, aux Philippines et au Sri Lanka ont été lissées à l’aide d’une moyenne mobile établie sur les cinq dernières années. Note de lecture : il s’agit d’un graphique semi-logarithmique comme le montre l’axe des ordonnées. Cette représentation minore le rattrapage des salaires par rapport aux États-Unis mais permet de comparer les rythmes d’évolution de pays très différents.

Le Graphique 2.10 permet de tirer trois conclusions principales pour l’industrie manufacturière :

Les deux premières conclusions coïncident bien avec la logique des avantages comparatifs. En effet, ces avantages proviennent d’écarts entre les coûts unitaires de production, dont les salaires font partie. De même, comme nous l’avons vu avec le modèle simplifié du commerce entre la Chine et les États-Unis, la spécialisation chinoise dans les biens manufacturés exerce une pression à la hausse des salaires, car la demande de travail augmente.

Pourquoi y a-t-il des exceptions ? Pourquoi les salaires de l’industrie manufacturière au Mexique sont-ils de plus en plus éloignés de ceux des États-Unis ?

dumping social
Dégradation du droit social destiné à augmenter la compétitivité-prix des entreprises nationales.

L’exemple des exportations automobiles du Mexique vers les États-Unis permet de mieux comprendre cette situation. En effet, sur 100 dollars de véhicules exportés du Mexique vers les États-Unis, une valeur de 37 dollars seulement a été ajoutée au Mexique ; 63 dollars proviennent de l’étranger… dont 38 dollars proviennent des États-Unis eux-mêmes.6 L’internationalisation de la chaîne de valeur de l’industrie automobile est maîtrisée, dans ce cas, par des firmes multinationales qui localisent par exemple des activités de conception, de marketing aux États-Unis et des activités d’assemblage au Mexique. Les qualifications exigées et les salaires versés pour chacune de ces activités sont bien sûr très différents et contribuent à maintenir un écart de salaires entre ces deux pays. De plus, le Mexique est incité à maintenir des salaires faibles, voire à pratiquer un dumping social, afin d’éviter que les firmes multinationales ne localisent cette activité dans un autre pays (Cf. Pour en savoir plus ci-dessous).

Question 2.22 Choisissez les bonnes réponses

La spécialisation entre pays comparables peut être basée sur les économies d’échelle obtenues sur certains marchés. Reprenons l’exemple de la France et de l’Italie, mais supposons maintenant que seule la production de véhicules utilitaires permette de réaliser des économies d’échelle (car il y a moins de modèles différents). Quelles sont les caractéristiques du pays qui va être gagnant d’une telle spécialisation sur ce type de marché ?

  • Un pays qui développe l’espionnage industriel pour éviter les coûts liés à la recherche-développement sur ce marché.
  • Un pays qui a une demande intérieure assez importante sur ce marché.
  • Un pays qui développe des pôles de compétitivité où centres de recherche, universités et entreprises travaillent sur des projets communs.
  • Un pays qui favorise la concurrence entre les entreprises et empêche les fusions-absorptions sur ce marché.
  • L’espionnage représente un coût qui peut être supérieur à celui de la recherche-développement, en particulier en cas de mesures de rétorsion des pays partenaires et de condamnation par l’Organisation mondiale du commerce (OMC).
  • Les entreprises nationales peuvent commencer à réaliser des économies d’échelle et à gagner en compétitivité avant même d’exporter.
  • Cela permet de baisser les coûts de la recherche et développement et favorise l’innovation.
  • Pour qu’il y ait des économies d’échelle, les entreprises doivent accroître leur taille.

Question 2.23 Complétez le texte

Vous pourrez effectuer votre choix à partir de ce que nous venons d’étudier, et ainsi restituer la citation de l’économiste américain Paul Krugman.

« Une prise par une région se cumulera au fil du temps, les de la évinçant le secteur industriel des . »7

Pour en savoir plus : une internationalisation inégalitaire de la chaîne de valeur peut-elle être favorable ?

Nous avons vu que, en termes d’inégalités, la situation du Mexique était due à un partage inégalitaire de la valeur ajoutée le long de la chaîne de valeur mondiale de la production automobile.

Examinons l’évolution de la situation du Vietnam dans la chaîne de valeur mondiale de l’industrie des équipements électriques et optiques dans le Graphique 2.11. Cette production est surtout destinée au marché mondial et est en très grande partie exportée.

Graphique 2.11 Valeur ajoutée du secteur des équipements électriques et optiques au Vietnam (en pourcentage et en millions de dollars).

Ana Paula Cusolito, Raed Safadi et Daria Taglioni, Inclusive Global Value Chains : Policy Options in Trade and Complementary Areas for GVC Integration by Small and Medium Enterprises and Low-Income Developing Countries, OCDE - La Banque mondiale, 2017.

La part de la valeur qui a été ajoutée au Vietnam a beaucoup baissé, perdant presque 14 points en passant de 44,7 % en 1995 à 30,8 % en 2011. Cela signifie qu’en 2011 près de 70 % de la valeur de cette production n’est pas destinée aux salariés ou aux investisseurs vietnamiens contre 55,3 % en 1995. En 16 ans, les inégalités entre le Vietnam et les autres pays participant à cette production ont donc nettement augmenté.

Cependant, la partie droite du Graphique 2.11 montre que les entreprises qui ont localisé leur activité au Vietnam ont tellement développé leur activité que la valeur ajoutée sur place a été multipliée par 19 (3,8/0,2). Autrement dit, ce partage inégal a été favorable à l’emploi au Vietnam, ainsi qu’aux salariés sur place, aux fournisseurs locaux et aux éventuels investisseurs vietnamiens.

Pour illustrer cette idée, on pourrait affirmer que le Vietnam a bénéficié d’une plus petite part d’un gâteau bien plus gros.

Synthèse

Le commerce international induit des effets importants sur les prix et les revenus, c’est-à-dire sur le partage des richesses dans le monde.

Il réduit tout d’abord le prix des produits importés du fait de la spécialisation en fonction des prix relatifs ou bien grâce aux économies d’échelles dues à certaines spécialisations (ce qui peut aussi réduire le prix de certains produits nationaux). Il réduit les écarts de prix entre les pays qui commercent entre eux. Il tend, mais d’autres causes sont également à prendre en compte, à augmenter les inégalités de revenus au sein des pays :

  • Il augmente les revenus des personnes qui apportent les facteurs de production recherchés pour satisfaire les besoins de la spécialisation du pays (par exemple dans les pays avancés, il peut s’agir des acteurs qui apportent le capital et la main-d’œuvre qualifiée).
  • Il baisse la part des revenus des personnes qui apportent les facteurs de production peu recherchés (par exemple dans les pays avancés, il peut s’agir des acteurs qui apportent un travail non qualifié).

Il réduit les inégalités entre les pays qui participent à l’échange même si cette évolution est parfois freinée par les imperfections du marché qui accompagnent l’internationalisation des chaînes de valeur.

Quels sont les termes du débat entre libre-échange et protectionnisme ?

Quels avantages et inconvénients le libre-échange présente-t-il ?

Regardez la vidéo « Comprendre les enjeux du Tafta (Transatlantic Free Trade Agreeement, ou Traité de libre-échange transatlantique) » de Dessine-moi l’éco. En vous appuyant sur cette vidéo, répondez à la Question 2.24.

Question 2.24 Choisissez les bonnes réponses

Quels sont les effets positifs que pourrait générer l’adoption du Tafta ?

  • Cet accord permettrait de réduire les droits de douane encore existants et de supprimer certaines lois protectionnistes.
  • Cet accord permettrait d’harmoniser les réglementations entre les États-Unis et l’Union européenne et de mieux protéger les consommateurs.
  • L’adoption de cet accord permettrait de stimuler la concurrence et pousser les prix à la baisse au bénéfice de tous les consommateurs.
  • Cet accord, du fait de la baisse des prix, relancerait la consommation ce qui favoriserait la croissance et l’emploi.
  • C’est vrai, mais il s’agit des moyens mis en œuvre par le Tafta, pas des effets qu’il produit.
  • L’accord prévoit d’harmoniser les réglementations, par exemple en supprimant certaines normes sanitaires ou techniques qui protègent les consommateurs.
  • C’est bien la logique de l’élargissement du marché à ces deux zones qui obligera les entreprises soumises à davantage de concurrence à accroître leur productivité et à baisser leur prix.
  • C’est bien un cercle vertueux de hausse de la consommation et d’accélération de la croissance économique que vise le traité en cours de négociation.

Quelles sont les meilleures politiques que les gouvernements peuvent mettre en place, au sujet des échanges internationaux, pour promouvoir la croissance des niveaux de vie à long terme ?

Pour certains, le choix s’opère entre deux politiques extrêmes :

protectionnisme
Mesures mises en place par un gouvernement pour limiter les échanges commerciaux, en particulier pour réduire les quantités importées dans l’économie. Ces mesures sont conçues pour protéger les industries locales de la concurrence extérieure. Elles peuvent prendre différentes formes, comme des taxes sur les biens importés ou des quotas sur les importations.
libre-échange
Mesures mises en place par un gouvernement pour favoriser les échanges commerciaux internationaux. Il s’agit surtout de démanteler des barrières protectionnistes et de développer des accords de libre-échange.

Très peu d’économistes (voire aucun) soutiennent l’une ou l’autre de ces politiques. Cependant, les États adoptent des mesures de politique commerciale qui vont dans ces deux directions opposées :

Quelle est la direction la plus favorable à la croissance du niveau de vie du pays à long terme ?

Quels sont les arguments en faveur du développement du libre-échange ?

Le premier argument est celui qui a été développé par David Ricardo : les avantages comparatifs liés aux prix relatifs.

Le Graphique 2.12 représente les écarts de prix entre les États-Unis et le Royaume-Uni (à l’inverse du Graphique 2.9) pour un certain nombre de marchandises entre 1870 et 1913. Durant cette période, le commerce entre ces deux pays s’est développé en raison de la baisse des droits de douane (de 45 % en 1870 à 21 % en 1910 pour les importations des États-Unis) et à la réduction des coûts du transport (en baisse de 53 % de 1870 à 1913 sur les voies maritimes de la côte est des États-Unis).

Graphique 2.12 Écarts de prix de certaines marchandises entre les États-Unis et le Royaume-Uni (1870–1913).

Tableau 2 in Kevin O’Rourke and Jeffrey G. Williamson. 1994. ‘Late Nineteenth-Century Anglo-American Factor-Price Convergence: Were Heckscher and Ohlin Right?’ The Journal of Economic History 54 (04) (December): pp. 892–916.

Question 2.25 Choisissez les bonnes réponses

Quel est le lien entre les échanges internationaux et le niveau des prix ?

  • Pour les biens agricoles tels que le blé et les produits d’origine animale, les prix britanniques qui étaient supérieurs aux prix américains en 1870 leur sont presque devenus équivalents en 1913.
  • Les États-Unis importent beaucoup moins de viande et de graisses animales du Royaume-Uni en 1913 qu’en 1895 ou qu’en 1870.
  • Dans le cas de l’industrie métallurgique (cuivre et barres de fer), les prix américains étaient supérieurs aux prix britanniques en 1870 et s’en sont beaucoup rapprochés jusqu’en 1913.
  • Dans tous les cas, les écarts de prix ont diminué, ce qui indique que les marchés des biens de part et d’autre de l’Atlantique devenaient de plus en plus intégrés.
  • Sur le graphique, les valeurs négatives inférieures à - 50 % signifient qu’en 1870 les prix britanniques étaient au moins deux fois plus élevés.
  • Il s’agit d’un écart de prix, pas d’un solde des échanges. La convergence est tardive, car les navires frigorifiques (inventés par Charles Tellier en 1876) ne se répandent qu’à la fin du 19e siècle.
  • Les écarts de prix référencés indiquent, par exemple, que le prix des barres de fer était plus élevé de 75 % aux États-Unis qu’au Royaume-Uni alors qu’en 1913 leur prix n’était plus supérieur que de 20 %.
  • Il y a une exception notable, le sucre, dont l’écart de prix s’accroît lors de la période : il est 90 % plus élevé aux États-Unis qu’au Royaume-Uni en 2013.

Cette convergence des prix entre les États-Unis et le Royaume-Uni est loin d’être un exemple isolé. Des données attestant d’une convergence similaire des prix existent pour les prix du coton entre Liverpool et Bombay, de la toile de jute entre Londres et Calcutta et du riz entre Londres et Rangoon.

Cette évolution des prix conduit, dans la plupart des cas, à une hausse du pouvoir d’achat des exportations en produits importés.

Graphique 2.13 Mesurer les effets du commerce international au Vietnam.

OECD.Stat de l’OCDE et ILOStat du BIT consultés en mai 2020.

Exportations et PIB du Vietnam de 2005 à 2016

Cette première observation donne l’impression que les exportations ont été le facteur essentiel de l’augmentation du PIB : l’accès aux marchés extérieurs semble donc essentiel. Cela donne l’impression que l’économie est orientée uniquement vers la demande étrangère et que presque toute la production intérieure est exportée.

OECD.Stat de l’OCDE et ILOStat du BIT consultés en mai 2020.

Exportations et valeur ajoutée sur place des exportations au Vietnam de 2005 à 2016

Une partie seulement de la valeur des exportations a été ajoutée au Vietnam (nous en avions vu un exemple précédemment, avec les équipements électriques et optiques). Cette part décroît, elle est passée de 64 % en 2005 (36 079/56 150 × 100) à 55 % en 2016 (92 794/164 835 × 100).

OECD.Stat de l’OCDE et ILOStat du BIT consultés en mai 2020.

Valeur ajoutée des exportations et PIB au Vietnam de 2005 à 2016

Même si la part de la valeur ajoutée sur place des exportations baisse, cette valeur ajoutée des exportations reste croissante, car le pays exporte bien plus. Elle représentait 41 % du PIB en 2005 et 45 % du PIB en 2016 et explique une grande partie de la croissance du pays. Les échanges contribuent donc bien à accroître les richesses produites et distribuées au Vietnam.

OECD.Stat de l’OCDE et ILOStat du BIT consultés en mai 2020.

Exportations, croissance et utilisation du facteur travail au Vietnam de 2005 à 2016

Les courbes avec marques, dont il faut lire les données sur l’axe de droite, montrent que l’explosion des échanges au Vietnam est fondée sur une utilisation intensive de la main-d’œuvre. En effet, seuls 2,7 % des actifs sont au chômage ou en sous-emploi, soit deux points de moins qu’en 2005 (tandis qu’en France cette part atteint 17 %) et cette forte demande de travail contribue à augmenter les salaires au point que la part des travailleurs disposant de moins de 1,90 dollars par jour a été divisée par dix.

OECD.Stat de l’OCDE et ILOStat du BIT consultés en mai 2020.

Outre la baisse des prix relatifs des importations, les arguments favorables au libre-échange sont donc les suivants :

Le libre-échange favorise aussi des échanges entre pays comparables, comme le prouve le dynamisme du commerce entre les pays faisant partie d’une zone de libre-échange comme l’Union européenne. Ces échanges, à l’origine d’économies d’échelle, permettent d’accroître la production globale de ces zones et les revenus qui en découlent.

Quels sont les arguments favorables aux mesures protectionnistes ?

La mondialisation n’est ni un phénomène nouveau ni un phénomène irrémédiable. En période de crise en particulier, comme dans les années 1930, les pays ont parfois tendance à fermer leurs frontières. Une telle période de tension est à l’œuvre dans le monde depuis la crise financière de 2007. La même politique commerciale de hausse des droits de douane et des taxes sur les biens importés est à l’œuvre actuellement, comme l’illustre la hausse récente des tarifs douaniers aux États-Unis décidés par le président Donald Trump sur les produits en provenance de Chine et d’Europe. En 2018, les États-Unis ont relevé de 3 à 25 % leurs tarifs douaniers sur l’acier européen, mexicain et canadien et à 10 % sur l’aluminium, dans le but de protéger l’industrie sidérurgique du pays. Les États-Unis ont également introduit une hausse des droits de douane sur les produits technologiques (téléviseurs, composants électroniques, voitures, par exemple) importés de Chine, avec une taxe de 25 %.

Regardez la vidéo « Guerre commerciale contre la Chine : Trump a-t-il raison ? » du Monde. En vous appuyant sur cette vidéo, répondez aux questions suivantes :

Pourquoi le président Donald Trump a-t-il initié une « guerre commerciale » avec la Chine ?

Alors qu’il avait promis durant la campagne présidentielle qu’il remettrait de l’ordre dans les accords commerciaux des États-Unis, en janvier 2018 Donald Trump déclare une guerre commerciale à la Chine. Le déficit de la balance commerciale envers la Chine atteint alors 375 milliards de dollars. Il accuse notamment la Chine de ne pas respecter les règles du commerce international et de pratiquer une concurrence déloyale. Il reproche également à la Chine de subventionner massivement ses entreprises nationales et de réserver ses marchés publics seulement aux entreprises chinoises. De plus, les pratiques chinoises de « pillage » technologique et de transfert technologique après le rachat d’entreprises étrangères ou d’entreprises s’installant en Chine sont mises en cause.

Quels peuvent être les intérêts des mesures protectionnistes ?

La stratégie de Donald Trump consiste à pénaliser les exportations de la Chine : les taxes les rendent moins compétitives par rapport aux produits américains. Le protectionnisme peut aussi avoir l’avantage de protéger les entreprises naissantes de la concurrence extérieure pour leur laisser le temps de se développer et de créer des emplois sur le territoire. Ainsi, l’entreprise chinoise Alibaba s’est développée à l’abri de la concurrence d’Amazon et est devenue un géant national et désormais international du commerce électronique.

Quels sont les risques de telles mesures ?

Tout d’abord, le risque de ce type de mesure dans une économie mondialisée, c’est que les adversaires répliquent à leur tour. C’est ce qu’a fait la Chine en augmentant à son tour les taxes sur certains produits agricoles américains, le soja, le porc ou encore le coton, mettant en difficulté les agriculteurs américains. De plus, cette hausse des taxes finit par désavantager les consommateurs, car les entreprises répercutent la hausse du coût des produits importés (par exemple, l’aluminium qui sert à produire les canettes de Coca-Cola) dans leur prix de vente. Enfin, les mesures protectionnistes peuvent être contre-productives, car elles n’entraînent pas nécessairement le développement des entreprises nationales : certains produits ne peuvent pas être produits sur le territoire national si la main-d’œuvre, les matières premières ou d’autres composants ne sont pas disponibles. Il faut alors importer ces produits en provenance d’autres pays, ce qui ne contribue pas à réduire le déficit de la balance commerciale.

quota
Une limite imposée par l’État sur le volume des importations au cours d’une période donnée.

Les mesures protectionnistes sont souvent prises pour protéger les industries nationales face à la concurrence internationale (d’où le terme de protectionnisme). De telles mesures incluent les droits de douane qui augmentent le prix intérieur des importations et des restrictions sur la quantité de biens importés (quotas).

Les États peuvent développer des stratégies, d’une part pour développer des spécialisations avantageuses pour leur pays en adoptant des mesures temporaires de protection de certaines branches, et d’autre part pour se défendre contre certains effets du commerce international en adoptant des mesures de protection appelées à perdurer.

Un protectionnisme ciblé pour améliorer sa position commerciale
industrie naissante (ou dans l’enfance)
Un secteur industriel relativement nouveau dans un pays dont les coûts sont relativement élevés car il n’a pas encore atteint une taille suffisante pour résister à la concurrence étrangère.

Protéger les industries naissantes par des tarifs douaniers peut donner aux entreprises de ces branches le temps et l’échelle de production nécessaires pour devenir compétitives. L’économiste allemand Friedrich List (1789–1846) élabore la théorie du « protectionnisme éducateur ».

corrélation
Une relation statistique entre deux variables : elle est positive quand les deux variables évoluent dans le même sens, et négative quand les deux variables évoluent en sens inverse.

Le protectionnisme précoce de l’Allemagne et des États-Unis en est un exemple : ces pays ont développé des secteurs manufacturiers modernes par le biais notamment de tarifs douaniers élevés qui les ont protégés de la concurrence britannique. À la fin du 19e siècle, on notait une corrélation positive entre les tarifs douaniers et la croissance économique des pays relativement riches. Les droits de douane plus élevés dans le secteur manufacturier étaient donc associés à une croissance plus forte, ce qui tend à montrer que le protectionnisme de ces pays était favorable à leur croissance.

Ce protectionnisme éducateur ne remet pas en cause fondamentalement le libre-échange, car il vise à développer la compétitivité d’une branche avant de la soumettre à la concurrence internationale. Il suppose que le marché intérieur soit assez grand pour que des économies d’échelle soient possibles.

politique commerciale stratégique
Adoption de mesures protectionnistes permettant à une entreprise nationale de réaliser suffisamment d’économies d’échelle pour être compétitive sur le marché international.

Lorsque la spécialisation est fondée sur les économies d’échelle, le gouvernement peut intervenir en adoptant une politique commerciale stratégique.

En effet, dans ces cas-là, il suffit qu’une entreprise ait une petite avance sur les autres pour qu’elle commence à réaliser des économies d’échelle et qu’elle développe sa compétitivité-prix. L’innovation est un facteur essentiel pour que les entreprises d’un pays puissent être les premières sur le marché et donc les moins chères parce qu’elles vendent davantage que les autres et réalisent des économies d’échelle.

L’État peut choisir d’intervenir par des mesures protectionnistes non tarifaires de façon à assurer l’avance de ses entreprises. Les États-Unis et l’Union européenne s’accusent ainsi mutuellement de favoriser respectivement Boeing et Airbus. Les mesures protectionnistes que les gouvernements adoptent prennent plusieurs formes : il peut s’agir de subventions publiques accordées à leurs entreprises exportatrices pour les aider à se lancer en premier sur l’un des segments du marché des avions commerciaux, mais aussi de préférence nationale lors de commandes publiques même si les prix sont prohibitifs.

Ce protectionnisme stratégique est temporaire, comme le protectionnisme éducateur, et ne remet pas en cause fondamentalement le libre-échange.

Le protectionnisme défensif

La mondialisation peut toutefois être sa propre ennemie. Une plus grande liberté de circulation des capitaux dans le monde, dont les détenteurs cherchent à obtenir des profits, permet aux entreprises de s’installer dans des pays où les impôts sont peu élevés – il s’agit de dumping fiscal–, et où les salariés n’ont pas le droit de s’organiser en syndicats et sont peu protégés, il s’agit de dumping social. Les entreprises veillent aussi à s’implanter dans des pays qui ne leur demanderont pas de prendre en charge tous les coûts de la pollution qu’elles engendrent, il s’agit de dumping environnemental. Cela implique que les investisseurs cherchent constamment à investir dans des endroits où le travail et l’environnement sont moins protégés. Ainsi, les pays qui souhaitent attirer les investissements étrangers sont souvent poussés à ne pas adopter de mesures en réponse aux problèmes de justice sociale ou de protection de l’environnement.

Par conséquent, le protectionnisme peut être défensif. Dans les pays avancés, en particulier aux États-Unis, se développe un protectionnisme visant la défense des emplois et des salaires des travailleurs les moins qualifiés. Sans parler ouvertement de protectionnisme, l’Union européenne défend un commerce libre et équitable. Cela la conduit à s’attaquer à la distorsion de concurrence introduite par le dumping (vendre ses produits à l’étranger à un prix inférieur au prix national). L’Union européenne impose, dans ce cas, des droits de douane compensateurs.

Ce protectionnisme n’a pas seulement pour objet de résister à une concurrence déloyale :

dotations factorielles
Quantités de facteurs de production (travail, capital et terres) disponibles dans une économie.

Ce protectionnisme défensif remet en cause beaucoup plus frontalement le libre-échange ; même les pays les moins protectionnistes ciblent certains produits, en particulier des produits agricoles, et leur appliquent des droits de douane élevés. L’Union européenne impose ainsi des droits de douane de 35,4 % sur les produits laitiers afin de défendre ses éleveurs, alors que ses droits de douane sont en moyenne de 5,2 %.

Le commerce international s’est développé du fait de la réduction, voire la quasi-disparition des coûts du transport qui représentent la plupart du temps moins de 5 % de la valeur de la marchandise transportée. Cependant, le transport de marchandises engendre des externalités négatives très importantes, en particulier des émissions de gaz à effet de serre, externalités dont le coût n’est pris en charge ni par le transporteur ni par le consommateur final.

L’Organisation de coopération et de développement économique (OCDE) estime ainsi que le nombre de tonnes-kilomètres de marchandises devrait tripler entre 2015 et 2050 du fait de l’augmentation du volume de marchandises et de la distance moyenne parcourue. Même si une baisse des émissions d’un tiers est prévue, le total des émissions devrait doubler (3 × 2/3).8 C’est pourquoi se développent des projets de protectionnisme écologique, en particulier en Europe.

Un arbitre engagé en faveur du libre-échange : l’OMC

L’OMC (Organisation mondiale du commerce) est une organisation internationale chargée de favoriser les échanges commerciaux entre ses membres et d’arbitrer les différends qui les opposent.

Le débat entre le libre-échange et le protectionnisme est influencé enfin par l’existence d’un arbitre favorable au libre-échange : l’Organisation mondiale du commerce (OMC). L’OMC est une organisation internationale qui a élaboré des règles commerciales communes aux pays membres. L’existence de règles communes montre la volonté des 164 pays membres de développer des échanges entre eux et permet d’éviter l’apparition de mesures de rétorsion (une mesure protectionniste qui n’a pour but que de répondre à une mesure protectionniste d’un pays partenaire).

Deux règles ont permis le développement du libre-échange dans le cadre du GATT (General Agreement on Tariffs and Trade, soit l’accord général sur les tarifs douaniers et le commerce qui précède l’OMC) depuis 1947 et de l’OMC depuis 1995 :

L’OMC est dotée d’un organisme de règlement des différends qui permet d’arbitrer des désaccords entre ses États membres. Cet organisme rend les règles communes plus contraignantes pour les gouvernements qui veulent développer des politiques protectionnistes.

Synthèse

Le développement des échanges internationaux de biens et de services entraîne un débat sur la politique commerciale des États, c’est-à-dire sur la régulation qu’ils imposent à ces échanges.

Le protectionnisme propose des mesures (tarifs douaniers, barrières non tarifaires et subventions à l’exportation) visant à limiter certains de ces échanges.

Effets d’une ouverture limitée des frontières :

  • Abriter les industries naissantes pour qu’elles développent leur compétitivité.
  • Favoriser les entreprises innovantes pour qu’elles soient leaders.
  • Préserver les emplois et les salaires des actifs les moins qualifiés.
  • Limiter les externalités négatives dues au transport de marchandises.

Le libre-échange est une politique qui vise à limiter ces mesures protectionnistes, voire à en démanteler certaines.

Effets de l’ouverture accrue des frontières :

  • Baisse des prix et hausse du pouvoir d’achat.
  • Meilleure utilisation des facteurs de production dans le monde.
  • Accès à des marchés plus larges que le marché national.
  • Accroissement de la production et des revenus du fait des économies d’échelle.

2.5 Conclusion

Les échanges internationaux et la spécialisation internationale ne s’expliquent pas seulement par des différences entre les pays (différences de productivité, différences de dotations factorielles et différences de dotations technologiques) : ils s’expliquent par des facteurs liés à la demande (la différenciation, horizontale et verticale, des produits, et leur qualité) et des facteurs liés à l’offre (la fragmentation de la chaîne de valeur qui permet de dégager des rendements d’échelle croissants et des économies d’échelle).

Le commerce international induit des effets importants sur les prix et les revenus, c’est-à-dire sur le partage des richesses dans le monde. Le protectionnisme propose des mesures visant à limiter certains de ces échanges. Le libre-échange est une politique qui vise à limiter ces mesures protectionnistes, voire à en démanteler certaines.

L’internationalisation des chaînes de valeur a contribué à multiplier les échanges internationaux. Elle s’effectue de plusieurs manières, mais elle est grandement dominée par des firmes multinationales qui externalisent certaines activités auprès d’entreprises partenaires ou qui, préférant une plus forte intégration, les produisent dans des filiales implantées à l’étranger.

L’attractivité des biens et services des entreprises d’un pays dépend à la fois de la compétitivité-prix et de la compétitivité hors-prix. Cette compétitivité traduit la capacité qu’a un pays à exporter.

Concepts introduits dans le Chapitre 2

Avant de continuer, revoyez ces définitions :

2.6 Références bibliographiques

  1. Adam Smith. (1776) 2003. An Inquiry into the Nature and Causes of the Wealth of Nations. New York, NY: Random House Publishing Group.  

  2. David Ricardo, On The Principles of Political Economy and Taxation, London : John Murray, 1817. 

  3. Paul Krugman, La mondialisation n’est pas coupable, La Découverte, 1998. 

  4. OCDE, « Les implications des chaînes de valeur mondiales pour la politique commerciale », OCDE.org, 2019. 

  5. Starbucks Corporation, Annual Report, 2019. 

  6. Alonso de Gortari, « Disentangling Global Value Chains », Harvard University Job Market Paper, 2017. 

  7. Paul Krugman, L’Âge des rendements décroissants, Économica, 2000. 

  8. Forum international des transports, Perspectives des transports 2019, OCDE, 2020.