Chapitre 5 Quelles politiques économiques dans le cadre européen ?
5.1 Sensibilisation
Le 1er février 2020, Guernesey, une dépendance de la Couronne britannique dans la Manche au large des côtes françaises du Cotentin, a refusé aux bateaux français de pêcher dans ses eaux territoriales. En effet, après l’officialisation du Brexit le 31 janvier 2020, la convention de Londres, qui régissait depuis 1964 les droits de pêche sur les eaux côtières, a expiré. Les pêcheurs normands ont riposté en interdisant à ceux de Guernesey de débarquer leurs poissons en Normandie. L’impact est grand : ce sont des régions et des filières entières dont l’activité économique est menacée. Cédric, marin-pêcheur, exprimait son inquiétude face à la situation à l’occasion d’un reportage de la chaîne TF1 : « Si ça continue longtemps, il va falloir envisager de changer de métier. » La zone interdite décrétée par le Royaume-Uni représente environ 60 % du chiffre d’affaires de Cédric.
Malgré l’accord du Brexit, la question des zones de pêche et de la quantité de poissons pêchés autorisée pour les flottes britanniques et européennes reste l’un des points principaux de tension. Effectivement, ces questions s’annoncent épineuses : le Premier ministre britannique, Boris Johnson, a rappelé que le Royaume-Uni était « redevenu un État côtier indépendant » et que ses eaux devaient être accessibles en priorité aux bateaux britanniques, menaçant l’activité de Cédric et plus généralement des quelque 20 000 marins-pêcheurs en France. Or, les Britanniques exportent vers le continent plus de deux tiers de leur production. Quant à l’Union européenne, 30 % de sa pêche provient des eaux britanniques.
Sur le sujet de la pêche, le Royaume-Uni semble en position de force, car les eaux et les ressources halieutiques (c’est-à-dire qui concernent la pêche) sont indispensables aux pêcheurs de huit pays européens. En effet, la réduction des zones de pêche pourrait accroître la concurrence entre les pays de l’Union européenne et pénaliser lourdement les consommateurs. Alain, commercial pour la société de pêche JP Marée, alerte : « Moins d’apport de poisson va faire grimper les prix d’au moins 20 %. »
Les Britanniques pourraient alors utiliser la question de la pêche dans les eaux britanniques comme un levier. La pêche serait alors une monnaie d’échange afin d’obtenir des avantages, notamment sur les marchés financiers, dans le secteur pharmaceutique, et, de manière générale, dans divers domaines relatifs au marché unique européen. Plus globalement, cette situation est symptomatique du bras de fer qui oppose l’Union européenne au Royaume-Uni dans les négociations d’un accord sur le Brexit. En effet, le Royaume-Uni tente de jouer toutes ses cartes pour se maintenir dans le marché commun afin de profiter de la libre circulation des biens, des services et des travailleurs, indispensable à sa croissance économique. L’Union européenne, quant à elle, est bien décidée à rester ferme dans les négociations pour éviter que d’autres pays ne suivent l’exemple britannique et ainsi préserver la cohésion et poursuivre l’intégration européenne.
Pour en savoir plus, regardez la vidéo « Le Brexit, c’est quoi la suite ? » de Dessine-moi l’éco.
En vous appuyant sur cette vidéo, répondez aux questions suivantes.
Pour aller plus loin : l’accord post-Brexit entre l’Union européenne et le Royaume-Uni
Renseignez-vous sur l’accord post-Brexit signé entre l’Union européenne et le Royaume-Uni le 23 décembre 2020, en particulier sur les douanes, les zones de pêche ou Erasmus. Un traité de libre-échange, de près de 1 500 pages (en comptant les annexes), négocié en moins d’un an, constitue ce que le Premier ministre britannique, Boris Johnson, appelle « une nouvelle base d’amitié, pour stabiliser cette relation », sous-entendue entre Londres et Bruxelles.
- marché unique
- Union douanière avec des dispositions pour libéraliser la circulation transfrontalière des facteurs de production (travail et capital).
- zone euro
- Groupe de pays qui utilisent la même devise. Cela implique qu’il n’y a qu’une seule politique monétaire pour tout le groupe. On parle aussi d’Union monétaire.
- politique européenne de la concurrence
- Politique structurelle dont l’objectif est de maintenir ou d’instaurer la concurrence sur un marché afin de limiter tout pouvoir de marché, c’est-à-dire la capacité d’une entreprise à influencer les prix.
- politique monétaire
- Politique économique conjoncturelle qui vise à agir sur la situation macroéconomique par l’intermédiaire du taux d’intérêt directeur de la banque centrale.
- conjoncture
- Situation économique à un moment donné.
- Banque centrale européenne
- Principale institution monétaire de l’Union européenne. C’est la banque des banques.
Objectifs d’apprentissage | Plan du chapitre |
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Connaître les grandes caractéristiques de l’intégration européenne (marché unique et zone euro) ; comprendre les effets du marché unique sur la croissance. | Section 5.2 : Quelles sont les grandes caractéristiques de l’intégration européenne et quels sont ses effets sur la croissance ? |
Comprendre les objectifs, les modalités et les limites de la politique européenne de la concurrence. | Section 5.3 : Quels sont les objectifs, les modalités et les limites de la politique européenne de la concurrence ? |
Comprendre comment la politique monétaire et la politique budgétaire agissent sur la conjoncture. | Section 5.4 : Comment la politique monétaire et la politique budgétaire agissent-elles sur la conjoncture ? |
Savoir que la politique monétaire dans la zone euro, conduite de façon indépendante par la Banque centrale européenne, est unique alors que la politique budgétaire est du ressort de chaque pays membre mais contrainte par les traités européens ; comprendre les difficultés soulevées par cette situation (défaut de coordination, chocs asymétriques). | Section 5.5 : Quelles sont les difficultés soulevées par le défaut de coordination entre la politique monétaire et la politique budgétaire dans la zone euro ? |
5.2 Quelles sont les grandes caractéristiques de l’intégration européenne et quels sont ses effets sur la croissance ?
Quelles sont les caractéristiques du marché unique ?
Le concept d’intégration économique
- intégration économique
- Processus qui concerne un ensemble de pays proches géographiquement et qui décident de construire un espace économique et social au sein duquel il n’y aura plus d’entraves aux échanges de marchandises, de capitaux et d’hommes. Cela s’accompagne de la création d’institutions communes, chargées de gérer les intérêts des pays concernés.
Commençons par présenter le concept d’intégration économique, qui concerne un ensemble de pays proches géographiquement et qui décident de construire un espace économique et social au sein duquel il n’y aura plus d’entraves aux échanges de marchandises, de capitaux et d’hommes. Cela s’accompagne de la création d’institutions communes, chargées de gérer les intérêts des pays concernés.
C’est un processus dans lequel s’engagent des pays qui sont souvent déjà interdépendants pour rapprocher leurs économies, harmoniser leurs décisions et coordonner leurs politiques ou adopter des politiques communes.
Finalement, le concept d’intégration économique renvoie à la fois à un processus et à un état de fait. Considérée comme un processus, l’intégration économique désigne les mesures destinées à abolir les discriminations entre les acteurs économiques appartenant à différentes économies nationales. Considérée comme un état de fait, elle désigne cinq degrés d’intégration, qui sont de plus en plus exigeants en termes de suppression des mesures discriminatoires.
Découvrons les cinq étapes de l’intégration économique et appliquons-les ensuite au cas de l’Union européenne. On reprendra ici les critères élaborés en 1961 par Béla Balassa (1928–1991), économiste américain spécialiste de l’économie internationale.
- Zone de libre-échange
- Ensemble d’économies au sein desquelles les barrières commerciales tarifaires et non tarifaires entre les membres sont globalement supprimées mais il n’existe pas de tarif extérieur commun envers les non-membres.
- Union douanière
- Accord entre des économies par lequel les économies établissent 2 principes : (1) elles acceptent d’autoriser le libre-échange des produits au sein de l’union douanière, et (2) elles conviennent d’un tarif extérieur commun pour les importations en provenance du reste du monde.
- tarif extérieur
- Taxe sur un bien importé dans un pays.
1re étape. Zone de libre-échange : liberté de circulation des marchandises au sein de la zone avec maintien de barrières tarifaires vis-à-vis des pays extérieurs à la zone.
Pour illustrer cette étape, on peut citer l’Alena (Accord de libre-échange nord-américain mis en œuvre en janvier 1994 entre le Canada, le Mexique et les États-Unis).
2e étape. Union douanière : zone de libre-échange avec mise en place d’un tarif extérieur commun vis-à-vis des pays tiers. Cela signifie qu’il n’y a pas de droits de douane à l’intérieur de la zone et qu’il y a les mêmes droits de douane entre les pays de la zone et les pays extérieurs à cette zone (les produits sont dédouanés une seule fois en intégrant l’union douanière).
Pour illustrer cette étape, on peut faire référence à la Communauté andine, créée en 1969, qui rassemble la Bolivie, la Colombie, l’Équateur et le Pérou.
- facteurs de production
- Désigne l’ensemble des ressources mises en œuvre lors du processus de production. On peut distinguer notamment le facteur travail, qui représente l’ensemble de l’intervention humaine rémunérée, et le facteur capital physique, qui se compose de l’ensemble des biens et des services de production utilisés pour produire d’autres biens ou d’autres services. On distingue alors le capital circulant qui désigne les biens et services de production qui sont détruits ou incorporés lors du processus de production ou dont la durée de vie est inférieure à un an et le capital fixe qui désigne l’ensemble des biens et des services de production qui ont une durée de vie supérieure à un an et qui donc peuvent être utilisés pendant plusieurs cycles de production.
3e étape. Marché commun : la libre circulation ne concerne plus seulement les marchandises mais aussi les services, les capitaux et les hommes, autrement dit l’ensemble des facteurs de production. Le but est de créer un grand marché par suppression des entraves aux échanges.
Le Marché commun du Sud (Mercosur), qui réunit l’Argentine, le Brésil, le Paraguay et l’Uruguay depuis 1991, a pour objectif la mise en place d’un grand marché.
- Union économique
- Marché commun avec des dispositions pour l’harmonisation de certaines politiques économiques, notamment macroéconomiques et réglementaires.
4e étape. Union économique : en plus de la libre circulation des produits et des facteurs, les économies membres entreprennent un certain degré d’harmonisation des politiques économiques nationales. Cela suppose une coordination étroite des politiques fiscales, budgétaires, sociales et une forme de gouvernance commune. Une stabilité des changes et une monnaie unique conduisent au niveau le plus avancé de l’intégration économique. Il s’agit alors de l’Union économique et monétaire.
Notons également qu’une 5e étape est envisageable avec une union politique, qui se caractérise par un exécutif unique et une unification des politiques économiques et sociales.
Rappelons que, sur le plan politique, l’Union européenne n’est pas un État, mais une union d’États signataires des mêmes traités, ayant décidé de partager leur souveraineté dans des domaines et selon des modalités définies par les traités. Ce partage de souveraineté entraîne une répartition des compétences exercées par plusieurs institutions au niveau de l’Union et au niveau des États membres.
En ce qui concerne le fonctionnement de l’Union européenne, on évoque souvent le terme Triangle institutionnel pour caractériser les modalités d’organisation des prises de décision. En effet, le Conseil de l’Union européenne et le Parlement se partagent le pouvoir législatif, la Commission et le Conseil européen se partagent le pouvoir exécutif, tandis que le pouvoir judiciaire est confié aux juges de la Cour de justice de l’UE.
C’est, par conséquent, la Commission européenne qui propose des textes de lois au Conseil de l’UE et au Parlement, qui les examinent et les adoptent. Le Conseil de l’UE se prononce après le Parlement.
Une intégration européenne par étape
Examinons maintenant les différents stades de l’Union européenne pour montrer que ce marché unique est une construction progressive, fondée initialement pour faciliter la paix et les échanges entre les différents pays membres.
Découvrons d’abord la construction de l’Union européenne à travers la vidéo « Les grandes étapes de la construction européenne ».
En vous appuyant sur cette vidéo, répondez aux questions suivantes.
Pour aller plus loin : l’ouvrage « L’Économie européenne 2017. L’UE après le Brexit »
Pour compléter l’étude sur la problématique d’une unification inachevée des marchés, vous pouvez vous reporter à la lecture de travaux d’économistes publiés par l’OFCE sur l’Union européenne après le Brexit en 2017 dans la collection « Repères » des éditions La Découverte.
Rappelons maintenant les principales étapes de l’intégration économique européenne.
Entre 1958 et 1968, les économies de la Communauté économique européenne (CEE) réalisèrent des progrès rapides vers un marché commun, établissant ainsi une union douanière pour les biens et supprimant d’importants obstacles à la libre circulation des personnes, des services et des capitaux.
Au cours des quinze années suivantes, il n’y eut plus d’approfondissement de l’intégration des économies. Celle-ci reprit en 1985, avec le programme du marché unique initié par Jacques Delors, président de la Commission européenne, qui promettait d’achever le marché unique (le nouveau nom du marché commun) en supprimant toutes les barrières restantes à la liberté de circulation des biens, des services, de la main-d’œuvre et des capitaux au sein des économies de la CEE au 31 décembre 1992. La CEE est devenue la Communauté européenne (CE) en 1993 et l’Union européenne en 2009. Enfin, le traité de Maastricht en 1992 a permis l’adoption de l’euro comme monnaie unique (avec actuellement 19 États membres sur les 27 actuels au 1er février 2020).
Exercice 5.1 Les principales dates de la construction européenne
Pour connaître les principales dates de la construction de l’Union européenne, répondez aux questions en vous appuyant sur cette frise chronologique.
Pour aller plus loin : découvrir les travaux de Dani Rodrik
Une présentation des travaux de Dani Rodrik sur les enjeux et les incompatibilités entre les objectifs économiques et politiques autour de ce concept d’intégration économique peut nous permettre d’approfondir ce questionnement.
- Trilemme de l’économie mondiale
- Impossibilité pour un pays de combiner une intégration profonde des marchés (à travers les frontières), la souveraineté nationale et une gouvernance démocratique dans un monde globalisé. Développé en premier lieu par l’économiste Dani Rodrik.
Ces préoccupations concernant les différentes étapes de l’intégration économique ont été analysées par l’économiste Dani Rodrik, qui a développé ce qu’il appelle le trilemme politique fondamental de l’économie mondiale. Ce triangle d’incompatibilité renvoie à trois éléments souhaitables, mais qui ne peuvent pas se produire simultanément.1
Il définit les trois éléments comme suit :
- Hypermondialisation
- Forme de mondialisation (qui n’est pour le moment qu’hypothétique) où il n’y a aucune barrière à la libre circulation des biens, des services et des capitaux. Voir également : mondialisation.
- Démocratie
- Système politique qui confère à tous les citoyens un égal pouvoir politique, défini par des droits individuels tels que la liberté de parole, de rassemblement et de presse, des élections justes pour lesquelles toute personne adulte est éligible pour voter et où le perdant à l’issue de ces élections quitte le pouvoir.
- Souveraineté nationale : chaque gouvernement national peut mettre en place les politiques qu’il souhaite sans restriction significative imposée par d’autres pays ou des institutions internationales.
- Hypermondialisation : un monde dans lequel presque aucune barrière politique ou culturelle n’empêche la circulation des biens et des capitaux.
- Démocratie au sein des États-nations : cela signifie que le gouvernement respecte à la fois les libertés individuelles et l’égalité politique.
L’illustration 5.1 montre les trois résultats possibles du trilemme politique de Rodrik.
Adapté de Dani Rodrik. 2012. The Globalization Paradox: Democracy and the Future of the World Economy. United States : W. W. Norton & Company.
Considérez chaque ligne du tableau pour clarifier les arbitrages :
- Ligne du haut : cela se produit si la souveraineté et la démocratie au niveau national sont maintenues. La mise en œuvre de politiques nationales efficaces de stabilisation, de soutenabilité environnementale et de redistribution telles que demandées par l’électorat en démocratie requiert de limiter la mobilité du travail et du capital. Par conséquent, l’hypermondialisation est impossible.
- Ligne du milieu : les politiques d’hypermondialisation ne peuvent être adoptées par un gouvernement national que si l’opposition citoyenne à ces politiques est affaiblie par la dilution des processus démocratiques.
- Ligne du bas : si les politiques d’hypermondialisation sont accompagnées par des institutions supranationales, elles peuvent ainsi obtenir un soutien démocratique. Cependant, cela réduit la capacité des pays à choisir indépendamment leurs politiques nationales (la souveraineté nationale est remise en cause).
Une manière de comprendre la ligne du bas est de considérer l’hypermondialisation comme un phénomène ainsi qu’un processus qui implique que les pays concernés doivent rivaliser les uns avec les autres pour attirer les investissements.
En effet, les investisseurs chercheront constamment à investir dans des pays où le travail et l’environnement sont moins protégés. Cela signifie que les gouvernements sont réticents à adopter des normes de régulation, des politiques publiques ou à augmenter les taxes sur les mouvements de capitaux et sur les travailleurs les mieux rémunérés.
L’hypermondialisation peut par conséquent s’avérer impossible dans une société démocratique. Le résultat pourrait alors être soit la disparition de l’hypermondialisation (ligne supérieure de l’illustration 5.1) soit la disparition de la démocratie (ligne du milieu).
Selon Rodrik, l’un des exemples de conflit entre ces trois objectifs est l’intégration politique de l’Europe depuis plusieurs décennies. Son objectif consistait en partie à permettre aux pays de bénéficier du libre-échange et de la libre circulation du capital et du travail tout en conservant une certaine autonomie pour réguler les activités génératrices de profits au nom de l’équité et de la stabilité économique.
La conséquence la plus problématique est qu’il faut s’assurer que cette gouvernance européenne ne soit pas seulement technocratique, mais également démocratique afin de permettre aux électeurs de modifier le système s’ils n’en apprécient pas le fonctionnement.
On peut citer également d’autres exemples où l’on peut appliquer les travaux de Dani Rodrik, par exemple les accords existant au sein d’une fédération, comme les États-Unis ou l’Allemagne.
En effet, les biens, les investissements et les individus peuvent circuler librement entre les États d’une fédération. La législation fédérale et les élections démocratiques dans ce cadre empêchent un nivellement par le bas.
- Nivellement par le bas
- Concurrence autodestructrice entre des pays ou régions, qui se traduit par une baisse des salaires et une moindre régulation afin d’attirer les investissements étrangers dans une économie mondialisée.
Parmi les autres initiatives de gouvernance supranationale (ou mondiale) qui peuvent, notamment, empêcher un nivellement par le bas des standards environnementaux et du marché du travail, on peut citer les accords internationaux sur le changement climatique et les efforts de l’Organisation internationale du travail visant à ce que tous les pays respectent des normes minimales concernant les conditions de travail (interdiction du travail des enfants et de la contrainte physique à l’égard des salariés, par exemple). Cela réduit par conséquent la capacité des États à mettre en œuvre des politiques, qui, avec la protection de standards et la mise en place de politiques de stabilisation, entraveraient les bénéfices de l’hypermondialisation dans le pays.
- mondialisation
- Processus par lequel les économies du monde entier sont de plus en plus intégrées les unes aux autres, par le biais de frontières nationales plus perméables aux flux de biens, de services, de capitaux et, dans une moindre mesure, de main-d’œuvre. Le terme est parfois utilisé dans un sens plus large et englobe la diffusion des idées, des traits culturels, voire d’épidémies.
Dani Rodrik explique dans la vidéo Économiste en action que l’économie est une science d’arbitrages. Son « trilemme de la mondialisation » montre que la mondialisation croissante implique que les pays doivent « renoncer à une part de leur souveraineté ou de leur fonctionnement démocratique ».
En vous appuyant sur cette vidéo, répondez aux questions suivantes.
Exercice 5.2 Le trilemme de Rodrik
Regardez la vidéo Économiste en action avec Dani Rodrik.
- D’après la vidéo, quels sont les bénéfices et compromis liés à la mondialisation ?
- Donnez quelques exemples historiques du trilemme politique présentés dans cette vidéo.
Utilisez le trilemme de Rodrik et vos connaissances personnelles pour décrire :
- Le soutien populaire qui entraîna l’élection de Donald Trump à la fonction de président des États-Unis en 2016.
- Le soutien populaire qui entraîna le vote en 2016 pour le Brexit, c’est-à-dire pour que le Royaume-Uni quitte l’Union européenne.
Quelles sont les caractéristiques de la zone euro ?
- zone monétaire commune
- groupe de pays qui utilisent la même devise. Cela implique qu’il n’y a qu’une seule politique monétaire pour tout le groupe. Connu également sous le terme : union monétaire.
La zone euro est une zone monétaire commune (ou union monétaire), parce que tous les membres utilisent l’euro. Lorsque l’euro a été introduit pour la première fois en 1999, la zone euro était composée de 11 des 15 États membres de l’Union européenne à l’époque. Aujourd’hui, la zone euro compte 19 pays sur les 27 États membres de l’Union européenne : Belgique, Allemagne, Irlande, Espagne, France, Italie, Luxembourg, Pays-Bas, Autriche, Portugal, Finlande, Grèce, Slovénie, Chypre, Malte, Slovaquie, Estonie, Lettonie et Lituanie.
Un objectif de départ
En quoi la monnaie unique constitue-t-elle une issue pour la poursuite du grand marché ?
Une fois l’étape du marché unique franchie, il est apparu logique que ce dernier ne puisse pas être totalement avantageux en raison des coûts de conversion des monnaies des différents États membres et des fluctuations des taux de change. En effet, si les taux de change, à savoir la valeur d’une unité de monnaie nationale exprimée en quantité de monnaie étrangère, sont flexibles ou flottants, la valeur de la monnaie exprimée dans une autre monnaie varie. Les pays pratiquant des taux d’intérêt différents font varier la valeur des monnaies ce qui peut favoriser des pratiques de concurrence déloyale ou de recherche de compétitivité par la variation des taux de change. Il fallait donc adopter une monnaie commune.
Le traité sur l’Union européenne a été adopté par les chefs d’État et de gouvernement lors du Conseil européen de décembre 1991 et signé le 7 février 1992.
Ce traité prévoit la mise en place de l’Union économique et monétaire (UEM) en trois étapes :
- 1re étape : du 1er juillet 1990 au 31 décembre 1993, une libre circulation des capitaux entre États membres.
- 2e étape : du 1er janvier 1994 au 31 décembre 1998, la convergence des politiques économiques des États membres et un renforcement de la coopération entre les banques centrales nationales.
- 3e étape : introduction progressive de l’euro comme monnaie unique des États membres et mise en place d’une politique monétaire commune sous la tutelle de la Banque centrale européenne (BCE). Il faut rappeler que cette dernière étape entrait en vigueur à la condition de la réalisation d’une convergence fixée par les traités.
Rappel sur le traité de Maastricht (1992) : création d’une monnaie unique au 1er janvier 1999. Quatre critères de convergence doivent être respectés pour pouvoir l’adopter :
- un déficit public inférieur à 3 % du PIB et une dette publique inférieure à 60 % du PIB ;
- une hausse des prix non supérieure à 1,5 point de l’inflation des trois États membres présentant les meilleurs résultats en matière de stabilité des prix ;
- un taux d’intérêt à long terme qui ne doit pas être supérieur de 2 % à celui des États membres qui enregistrent les meilleurs résultats en termes de stabilité des prix ;
- un taux de change entre les monnaies européennes qui ne dépasse pas les marges fixées.
Ces critères de convergence seront présentés et actualisés dans le questionnement suivant sur les politiques budgétaires des États membres de l’Union européenne.
Avantages attendus de l’euro
Découvrons les avantages de la monnaie unique pour la France grâce à cette vidéo ; vous pouvez vous arrêter à 3 minutes et 19 secondes :
L’économiste Agnès Bénassy-Quéré recense, dans la vidéo, quatre avantages principaux de l’euro pour la France, à savoir un ralentissement de l’inflation, des taux d’intérêt réels deux fois plus faibles, une protection définitive contre toute dévaluation compétitive et la fin d’un transfert de souveraineté monétaire entre la France et l’Allemagne.
Détaillons maintenant les différents avantages de la monnaie unique.
Les avantages microéconomiques :
- La suppression des coûts de transaction de change (exemple d’un touriste français qui peut se rendre dans toute la zone euro sans avoir à payer de frais bancaires pour obtenir des devises étrangères).
- La suppression de l’incertitude liée aux variations de taux de change (les entreprises importatrices et exportatrices au sein de la zone euro sont libérées du risque de change : une entreprise française achetant des machines-outils en Allemagne et payables dans les six mois n’a plus à craindre une dévaluation du franc dans l’intervalle, qui pourrait augmenter d’autant le prix de ses achats, l’obligeant à prendre une assurance coûteuse pour couvrir ce risque).
- Des échanges commerciaux stimulés entre pays (échanges intra-zones), une concurrence accrue qui favorise l’amélioration de la compétitivité des entreprises (réalisation d’économies d’échelle, d’effets d’apprentissage et de diversification des produits proposés aux consommateurs).
- Une transparence des prix donc plus de concurrence entre les entreprises de la zone (économies d’échelle, compétitivité-prix) donc augmentation du pouvoir d’achat des consommateurs, croissance et emploi.
Les avantages macroéconomiques :
- La monnaie commune et, par conséquent, l’adoption d’une seule politique monétaire représentent des contraintes pour les États quant à la lutte contre l’inflation et l’endettement. Mais ce respect des critères de convergence devrait favoriser la stabilité monétaire, qui devrait attirer les investisseurs étrangers.
- La coordination des politiques économiques dans des zones très intégrées sur le plan économique favorise la croissance économique.
- L’euro est davantage recherché sur les marchés de capitaux ce qui permet de favoriser en abondance les capitaux, ce qui fait baisser les taux d’intérêt accordés aux emprunteurs, ce qui favorise à nouveau les investissements (zone d’attractivité pour les capitaux).
- La monnaie unique empêche les dévaluations compétitives entre pays (exemple de la France dans la vidéo, qui a des relations commerciales avec l’Italie ou l’Allemagne et moins avec des pays extérieurs à la zone).
- Une monnaie rivale au dollar.
En résumé, les pays qui ont décidé de participer à l’UEM ont estimé que les avantages attendus étaient supérieurs aux inconvénients. On peut finalement recenser deux avantages principaux : la monnaie unique permet de supprimer à la fois les coûts de transaction de change et l’incertitude liée au taux de change et elle permet d’augmenter les échanges de biens et de services. N’oublions pas son rôle au niveau de la transparence des prix et, donc, au niveau de la stimulation de la concurrence.
Pour aller plus loin : la vidéo « Les 20 ans de l’euro. Quel bilan pour la monnaie unique ? »
Une vidéo pour approfondir le questionnement sur les caractéristiques de la zone euro par l’économiste Agnès Bénassy-Quéré :
Réfléchissez ensuite aux problématiques ci-dessous :
- Quel bilan de la monnaie unique peut-on établir pour les agents économiques (ménages et entreprises) ?
- Quelles sont les principales faiblesses de la monnaie unique, notamment au sujet des politiques communes ou des questions de souveraineté budgétaire ?
Quels sont les effets du marché unique sur la croissance ?
Selon les estimations de la Commission européenne, les retombées du marché unique représenteraient entre 8 et 9 % du PIB de l’UE, compte tenu des conséquences directes sur les échanges mais également sur la concurrence.
Les avantages du marché unique sur la croissance économique
En l’absence de droits de douane, les échanges augmentent au sein de la zone aussi bien du côté des consommateurs que des producteurs. On sait aujourd’hui que le marché unique a permis de manière globale d’élargir et d’améliorer les choix pour les consommateurs tout en baissant les prix.
Des objectifs en matière de productivité des entreprises mais aussi de créations d’emplois et, par conséquent, de croissance économique sont attendus.
Pour les consommateurs :
Ces derniers bénéficient d’une production de masse à des prix plus bas, car les entreprises réalisent des économies d’échelle, qui correspondent à une baisse des coûts unitaires de production grâce à l’augmentation de la taille des marchés.
Les prix peuvent également diminuer du fait d’une concurrence accrue, car une protection des marchés nationaux n’est plus possible. Une stimulation de l’innovation grâce à la concurrence permet de proposer également des produits de meilleure qualité.
Pour les producteurs :
Pour les producteurs, on peut espérer une baisse des coûts de production et une augmentation de la concurrence sans oublier l’attractivité de la zone pour les investisseurs, notamment étrangers.
Effectivement, le marché unique permet une unification des marchés grâce à la libre circulation des biens mais aussi grâce à la libéralisation des services financiers, l’ouverture des marchés publics. Cela permet un approfondissement du processus d’intégration économique et surtout un élargissement des marchés.
Cette concurrence accrue va favoriser la mise en place d’une logique de baisse des coûts de production, possible grâce aux économies d’échelle, à une meilleure allocation des ressources ce qui va permettre à terme d’augmenter les investissements et de réaliser des gains de productivité, source de croissance économique.
N’oublions pas non plus que la stimulation de la concurrence pousse les entrepreneurs à innover aussi bien au niveau des produits qu’au niveau des procédés afin de conquérir de nouveaux marchés, de différencier et de diversifier leurs produits pour les consommateurs, de procéder à des transferts de technologie et de réduire leurs coûts de production.
À partir de ce schéma d’implication, rédigez une réponse succincte à chacune des questions :
Des résultats inégaux selon les pays
En renforçant les logiques de spécialisation, la monnaie unique a accru l’hétérogénéité des pays membres de la zone euro. Certains pays dits « du Nord » (Pays-Bas, Autriche, Allemagne…) se sont spécialisés dans la production de produits manufacturés exportables et certains pays dits « du Sud » (notamment la Grèce) se sont spécialisés dans la production de services non exportables. Cela a conduit à un creusement des déficits commerciaux des pays du Sud et à une augmentation des excédents commerciaux. Ainsi, le passage à la monnaie unique a accru les divergences économiques des États, en termes de PIB/habitant, taux de chômage, taux de croissance du PIB en volume, balance commerciale ce qui contribue à aggraver l’hétérogénéité de la zone euro.
Nous aurons l’occasion d’approfondir ce questionnement à la section 5.5.
Synthèse
Le principal objectif du marché unique est l’augmentation de l’efficacité économique et la croissance économique.
En effet, on sait depuis la théorie des avantages comparatifs de David Ricardo que la libéralisation des échanges favorise l’augmentation de la productivité des facteurs de production. Le libre-échange incite les économies des pays membres à se spécialiser en fonction de leurs avantages, ce qui permet une meilleure allocation des facteurs de production vers les secteurs les plus compétitifs.
Par ailleurs, le marché unique permet l’accroissement de la taille des marchés et la réalisation d’économies d’échelle. Cette baisse des coûts de production, et par conséquent des prix, permet un gain de pouvoir d’achat pour les consommateurs ainsi qu’une diversité plus grande des produits.
De plus, le marché unique stimule la concurrence ce qui pousse les entreprises à améliorer leur compétitivité (prix et hors-prix) en favorisant en particulier la diversité des produits pour les consommateurs.
D’ailleurs, deux études évaluent l’impact du marché unique, en considérant à la fois l’investissement, les secteurs des biens et des services.2 La première étude montre que l’intégration économique en Europe pourrait avoir augmenté le PIB de l’UE d’au moins 5 %.3 La seconde étude évalue des gains de revenus à 3 % pour l’UE, et jusqu’à̀ 10 % à très long terme.4
5.3 Quels sont les objectifs, les modalités et les limites de la politique européenne de la concurrence ?
Quels sont les objectifs de la politique européenne de la concurrence ?
Rappelez-vous qu’en première, dans le cadre du chapitre sur le fonctionnement des marchés imparfaitement concurrentiels, vous aviez vu que la libre concurrence ne signifie pas l’absence de règles. Ainsi, les stratégies des entreprises européennes sont surveillées et encadrées afin que les consommateurs ne soient pas lésés. Au sein de l’Union européenne, la politique de la concurrence remplit cette fonction.
La politique de la concurrence tire sa justification du fait que des marchés pleinement concurrentiels garantissent la meilleure allocation des ressources et des avantages en termes de prix, de qualité et d’innovation pour les consommateurs (voir le chapitre de SES de la classe de première « Comment les marchés imparfaitement concurrentiels fonctionnent-ils ? »).
Il s’agit d’une politique structurelle dont l’objectif est de maintenir ou d’instaurer la concurrence sur un marché afin de limiter tout pouvoir de marché, c’est-à-dire la capacité d’une entreprise à influencer les prix.
La politique de la concurrence dans les pays européens ne s’est réellement imposée que sous l’impulsion de la construction communautaire à partir des années 1950. C’est une compétence européenne depuis le traité de Rome (1957). Le traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE) définit aujourd’hui les principes du droit de la concurrence en vigueur dans les pays membres, la compétence pour leur mise en œuvre étant partagée entre la Commission européenne et les autorités nationales (en France, l’Autorité de la concurrence, anciennement Conseil de la concurrence, autorité administrative indépendante, et la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes – DGCCRF –, qui relève du ministère de l’Économie et des Finances).
Regardez la vidéo suivante : « Concurrence et politiques publiques : l’action de l’Europe est-elle efficace ? Trois questions à Emmanuel Combe, Vice-président de l’Autorité de la concurrence » : jusqu’à 1 minute puis répondez à la question :
Synthèse
La politique de la concurrence vise à faire appliquer des règles garantissant que les entreprises se livrent une concurrence loyale. La politique de la concurrence contribue à stimuler l’esprit d’entreprise et la productivité en poussant notamment les entreprises à innover, à élargir la diversité des biens et services pour les consommateurs, à faire baisser les prix et à améliorer la qualité des biens et services.
Quelles sont les modalités de la politique européenne de la concurrence ?
Rendez-vous au lien suivant : https://ec.europa.eu/competition/consumers/what_fr.html afin de découvrir les principaux volets de la politique de la concurrence.
Le contrôle des fusions
- Concentration
- Regroupement d’entreprises qui conduit à la hausse de la taille des entreprises mais qui s’accompagne d’une diminution du nombre d’entreprises.
La finalité de cet axe est de prévenir la concentration de deux entreprises leaders sur un marché ce qui aurait pour effet de réduire la concurrence et ainsi de limiter les incitations à l’innovation et d’augmenter les prix pour le consommateur. Par exemple, en 2019, Margrethe Vestager, commissaire chargée de la concurrence au sein de la Commission européenne, a décidé de bloquer une concentration entre les entreprises de signalisations et de transports ferroviaires Siemens et Alstom au motif que les conditions de fusion en l’état ne permettaient pas de garantir la compétition dans le secteur sur le marché européen. Il s’agit d’une régulation ex ante.
L’abus de position dominante
L’objectif de cet axe est de sanctionner toute entreprise qui profite de sa position de force sur un marché pour éliminer ses concurrents par des pratiques anticoncurrentielles, comme l’imposition de tarifs délibérément bas ou l’octroi d’avantages à un interlocuteur. Par exemple, en 2018, le fournisseur informatique américain Qualcomm a été condamné par la Commission européenne à payer une amende de 997 millions d’euros pour ce motif après avoir été déclaré coupable de versements de plusieurs milliards de dollars à Apple afin que cette dernière ne s’approvisionne pas auprès d’entreprises concurrentes. Il s’agit d’une régulation qui s’exerce ex post.
Pour en savoir plus, regardez la vidéo d’Europe1 « Google a utilisé une position dominante pour empêcher la concurrence ».
Regardez la vidéo seulement jusqu’à 4 minutes et 30 secondes.
En vous appuyant sur cette vidéo, répondez aux questions suivantes.
Les ententes entre les entreprises visant à restreindre la concurrence
- monopole
- Une entreprise qui est l’unique vendeur d’un produit n’ayant pas de substituts proches. Se dit aussi d’un marché avec un seul vendeur. Voir également : pouvoir de monopole, monopole naturel.
- cartel
- Un groupe d’entreprises qui s’entendent pour augmenter leurs profits communs.
Cet axe vise à prévenir et à sanctionner toute entente entre des entreprises concurrentes sur les prix ou sur une répartition des parts de marché sur lesquelles chaque entreprise disposerait d’un monopole. En 2018, la Commission européenne a sanctionné cinq entreprises, dont Bosch et Continental, qui s’étaient alliées au sein d’un cartel dans le secteur du transport maritime de véhicules neufs entre l’Europe et d’autres continents.
Pour lutter contre les cartels, la Commission européenne prévoit des amendes pouvant atteindre au maximum 10 % du chiffre d’affaires mondial du groupe.
De même, un programme de clémence a été lancé pour lutter contre l’existence de cartels : si une entreprise aide au démantèlement de cartels ou dénonce sa participation à un cartel alors elle sera exonérée de l’amende. Ici, la politique de la concurrence intervient ex post.
Rendez-vous sur le lien https://www.franceculture.fr/emissions/la-bulle-economique/delinquance-en-col-blanc-les-cartels-et-leurope et écoutez l’émission « Délinquance en col blanc : les cartels et l’Europe ».
Répondez aux questions suivantes :
- Quelles formes peuvent prendre les cartels ?
- Quels sont les objectifs d’un cartel ?
- Pourquoi est-il difficile de lutter contre les cartels ?
- Comment lutter contre les cartels ?
Les aides d’États
La Commission cherche à éviter la création d’une concurrence faussée sur un marché, générée par l’octroi d’aides financières publiques à une entreprise, lui donnant ainsi un avantage déloyal sur les autres acteurs européens du secteur. Par exemple, en 1999, la Cour de justice de l’UE a confirmé le caractère d’aide publique des dispositions prises par le plan « Textile » mis en œuvre par le gouvernement français pour soutenir une industrie du textile et de l’habillement en péril. Ce contentieux juridique entre la Commission européenne et la République française s’est soldé par une sanction de l’État français.
Sans politique de la concurrence, certaines entreprises pourraient obtenir un pouvoir de marché, ce qui conduirait à une baisse du surplus du consommateur du fait d’une hausse des prix. La politique de la concurrence doit donc être une politique commune à tous les États membres de l’Union européenne afin d’éviter une guerre économique et lutter contre le pouvoir de marché.
Pour aller plus loin : l’article « Amazon, accusé d’avoir enfreint les règles européennes de concurrence, visé par deux enquêtes de Bruxelles »
Pour voir comment la politique de la concurrence européenne s’applique dans la réalité, lisez cet article paru dans le journal Le Monde, le 10 novembre 2020. Il porte sur les enquêtes effectuées sur Amazon après une accusation par la Commission européenne sur le fait que cette entreprise américaine a déployé des pratiques anticoncurrentielles en Europe.
Pour élaborer et faire respecter sa réglementation de la concurrence, deux institutions sont au cœur de l’action de l’Union : la Commission européenne et la Cour de justice de l’Union européenne. La Commission européenne et la Cour de justice de l’Union européenne sont les deux instances les plus influentes sur l’application, et les sanctions le cas échéant, de ces règles auprès des États membres ou des acteurs privés.
La première est chargée de surveiller et d’enquêter sur des opérations entreprises par des acteurs étatiques ou privés qui contreviendraient au droit en vigueur. Quant à la seconde, elle est tributaire de la garantie d’une interprétation commune et d’une application des réglementations européennes, de l’arbitrage des différends entre deux acteurs et de l’émission d’une décision édictant les sanctions ou les réparations à procéder.
Quelles sont les limites de la politique européenne de la concurrence ?
Il existe des débats et des limites autour de la politique de la concurrence.
Plusieurs débats existent autour de l’existence de la politique de la concurrence : le premier porte sur le rôle de la politique de la concurrence, qui est parfois accusée de mettre à mal la politique industrielle ; le second sur le fait qu’elle empêcherait la constitution de champions nationaux. Enfin, la politique de la concurrence ne serait pas toujours compatible avec l’existence des services publics.
Du côté des limites, on lui reproche la lenteur de certaines actions, la difficile prise en compte du numérique et le fait que les entreprises aujourd’hui sont de plus en plus des firmes multinationales.
Politique de la concurrence versus politique industrielle
La politique industrielle, qui vise à améliorer les performances des entreprises et la puissance industrielle d’un pays, peut entrer en conflit avec la politique de la concurrence.
- Champions nationaux
- Entreprises choisies par l’État pour devenir les producteurs dominants sur un marché national et entraver les concurrents étrangers sur ce marché.
La politique industrielle cherche à dynamiser l’innovation afin de conserver les entreprises sur son territoire mais, parfois, en cas de déclin industriel, les pouvoirs publics peuvent décider de mettre en place des politiques industrielles. La politique industrielle vise alors la reconstruction et la modernisation des secteurs de production, le redéploiement industriel et la nationalisation ; les privatisations et mesures d’aide aux entreprises ; le renouveau des actions ciblées en faveur de l’innovation. Pour cela, les pays aident les secteurs en difficulté en les subventionnant comme l’avait fait la présidence de Georges Pompidou dans les années 1970 avec la politique des « champions nationaux » pour aider le développement de certains secteurs d’activité stratégiques. Or, la politique de la concurrence interdit les subventions des États aux entreprises.
En effet, ces aides de la part de l’État peuvent entraîner des distorsions de concurrence, car seules certaines entreprises sont aidées, ce qui leur permet alors d’acquérir un pouvoir de marché. L’intervention de l’État est contraire au principe de la concurrence : elle a pour effet de fausser le jeu de la concurrence et d’empêcher l’amélioration de la compétitivité naturelle des entreprises. Ainsi, politique de la concurrence et politique industrielle peuvent entrer en contradiction, car la première privilégie le fonctionnement libre du marché alors que la politique industrielle vise à mobiliser les aides, les subventions et l’intervention de l’État en faveur des activités industrielles.
De même, ces deux politiques sont opposées par le fait que la politique de la concurrence est supranationale alors que la politique industrielle est nationale. Ainsi, les États ont parfois intérêt à soutenir leur industrie pour des enjeux de compétitivité (dépendance externe en ressources, taux de change défavorable), de protection contre les concurrents (différentiel du coût du travail, de protection des emplois, par exemple).
Mais la politique industrielle, en restreignant la concurrence sur un marché, laisse la possibilité à certaines entreprises de devenir plus efficaces et donc plus compétitives : en augmentant leur taille, elles peuvent obtenir des économies d’échelle qui leur permettent de financer la recherche-développement (R&D) source d’innovation et de croissance.
C’est pour cela que Philippe Aghion conseille de ne pas subventionner une entreprise en particulier mais un secteur : à cette condition, politique de la concurrence et politique industrielle sont alors compatibles. Les aides publiques sont efficaces quand elles sont dirigées vers des secteurs compétitifs et sans distorsion de la concurrence.
Par exemple, le droit européen autorise certaines ententes entre firmes concurrentes dans la mesure où elles procurent aux consommateurs un avantage économique contrebalançant leur effet anticoncurrentiel. C’est le cas en particulier des « ententes technologiques » qui consistent à mettre en commun les activités de R&D permettant la réalisation d’investissements, qui n’auraient pu être effectués par chaque entreprise individuellement, car trop coûteux ou trop risqués ; ces activités sont susceptibles de générer des innovations favorables aux consommateurs. Ceux-ci peuvent en effet bénéficier de baisses de prix (innovation de procédé faisant baisser les coûts de production) ou de produits de meilleure qualité (innovation de produit). De la même manière, la perspective de gains d’efficacité, résultant de la réalisation d’économies d’échelle ou d’un transfert de technologie entre firmes, constitue un critère d’autorisation de certaines opérations de fusion.
Pour aller plus loin : l’entretien « Philippe Aghion : Face aux quatre grandes faiblesses de notre système : quelles réformes engager ? »
Lisez l’entretien avec l’économiste Philippe Aghion sur le site Melchior.fr. Lors de cet entretien, Philippe Aghion explique la raison pour laquelle il considère qu’il faut remettre la politique industrielle au centre des priorités et repenser la politique de la concurrence pour qu’elle aille de pair avec l’innovation. Selon lui, la politique de la concurrence en France est trop axée sur les parts de marché.
Dès qu’une entreprise a une trop grosse part de marché, elle est sanctionnée, comme c’est le cas pour Alstom-Siemens. La fusion avait été refusée pour le motif qu’Alstom et Siemens allaient avoir une part de marché trop importante, même si le marché concerné est ce que l’on appelle un marché contestable. Un marché « contestable » est un marché sur lequel une augmentation des prix de la part de l’entreprise ayant le monopole provoque l’entrée d’un concurrent sur le marché.
Dans le cas de cet exemple, Philippe Aghion considère que la prise en compte de l’innovation doit être plus importante, selon lui, il faudrait se poser la question suivante : une fusion ou acquisition empêche-t-elle l’innovation? Si elle ne l’empêche pas, il faut autoriser ces opérations. Cette politique de la concurrence doit être compatible et aller de pair avec la politique industrielle. Il privilégie donc plus de dialogue entre ceux qui réfléchissent à la politique industrielle en Europe et les autorités de la concurrence ; les deux politiques devraient être conçues conjointement.
Pour ou contre des champions nationaux ?
On reproche alors à la politique de la concurrence d’empêcher la création de grands groupes à l’échelle européenne que l’on appelle des « champions européens ».
Regardez la vidéo de Xerfi Canal « Pour une stratégie et des champions industriels européens » et prenez des notes afin de pouvoir ensuite répondre aux questions.
- Pourquoi la Commission européenne a-t-elle refusé la fusion entre Alstom et Siemens ?
- Quelles sont les limites de ce refus ?
- Pourquoi avoir fondé le CECA ?
- Pourquoi l’Europe n’arrive-t-elle plus à créer des champions européens ?
- À quelles conditions l’Europe pourrait-elle créer des champions européens ?
Quand certaines entreprises savent que leur projet de concentration ne sera pas accepté, elles peuvent être achetées par des entreprises en dehors de l’UE. C’est, par exemple, le cas du groupe Pirelli, qui a été racheté par la société chinoise CNRC.
Les « nouvelles routes de la soie » sont un réseau d’infrastructures routières et maritimes permettant de relier la Chine au sous-continent indien, à l’Europe et à l’Afrique. Elles ont été lancées par le président Xi Jinping en 2013 pour affirmer le statut de puissance commerciale mondiale de la Chine. Les infrastructures de communication (routes, ponts, voies de chemin de fer, oléoducs et aménagements portuaires) permettent à la Chine de sécuriser ses approvisionnements et d’intensifier ses exportations vers l’Europe et l’Afrique.
Par conséquent, la politique de la concurrence nuirait à l’émergence de grands champions européens, et particulièrement dans des secteurs stratégiques et de haute technologie. Or, ces grands groupes européens seraient un facteur d’innovation, de croissance et d’emploi et pourraient alors concurrencer les champions nationaux chinois, qui eux bénéficient d’une politique industrielle offensive (« Nouvelles routes de la soie », par exemple), ou encore des firmes américaines davantage protégées contre la concurrence mondiale depuis l’élection de Donald Trump, qui a mis en place des mesures protectionnistes.
Voilà pourquoi les ministres de l’Économie français et allemand prônent une évolution de la politique de la concurrence, comme vous allez le voir dans la vidéo suivante.
Regardez la vidéo « Concurrence : vers de nouvelles règles européennes ? » de France 24.
En vous appuyant sur cette vidéo, répondez aux questions suivantes.
Politique de la concurrence et existence des services publics
Ensuite, la logique de la concurrence peut s’opposer à celle des services publics dans lesquels il existe des professions ou des monopoles réglementés. L’ouverture des services publics à la concurrence a été le maître mot des années 1980 dans différents pays européens. L’Union européenne se réfère alors à la notion de « service d’intérêt général ». Les traités de l’Union européenne distinguent différents types de services d’intérêt général selon qu’ils soient de nature économique ou non.
Les services d’intérêt général non économiques sont exclus du champ d’obligation d’ouverture à la concurrence. Sont en revanche concernés par la privatisation certains Services d’intérêt économique général (SIEG) et, notamment, les grands services de réseaux (électricité, gaz, services postaux, transport ferroviaire et aérien et télécommunication) qui relèvent d’une logique de monopole naturel.
Par conséquent, l’intervention de la puissance publique a été justifiée pour empêcher que l’entreprise en situation de monopole naturel n’exploite son pouvoir de marché. Pour cela, le régulateur (en général l’État) a imposé un prix plus faible à l’entreprise, tout en s’assurant que ce niveau de prix lui permette de couvrir ses coûts variables et ses coûts fixes.
- asymétries d’information
- Situation dans laquelle l’un des échangistes, l’offreur ou le demandeur, dispose d’une information imparfaite. La transparence de l’information n’est pas assurée.
Cependant, dans la pratique, la tâche du régulateur est compliquée par sa difficulté à connaître précisément les coûts de l’entreprise (le régulateur fait face à des asymétries d’information). En effet, l’entreprise en situation de monopole a intérêt à surestimer ses coûts afin que le régulateur fixe un prix le plus élevé possible. En outre, ce type de régulation n’incite pas de manière optimale l’entreprise à mieux s’organiser ou à innover pour augmenter ou réduire ses coûts.
Pour pallier ces limites, la Commission européenne a décidé d’ouvrir certains marchés à la concurrence tout en confiant la gestion de l’infrastructure à une seule entreprise. En effet, dans la plupart des cas, c’est le caractère coûteux de cette infrastructure qui entraîne l’existence d’une situation de monopole naturel et il est alors possible de créer une concurrence effective en séparant la gestion du réseau de son utilisation par les entreprises.
Une première critique s’adresse à la libéralisation des services de réseaux (transports, télécommunications, gaz, etc.). Selon la théorie libérale, cette stratégie offrirait des coûts plus avantageux résultant d’une guerre des prix et encouragerait l’innovation, ce que ne permettraient pas les monopoles publics. Toutefois, dans la pratique et dans certains cas, la libéralisation a conduit à la formation d’oligopoles et, finalement, il s’agirait plus d’une « concurrence de façade » qui bénéficie aux grandes entreprises plutôt qu’aux consommateurs.
- coûts de transaction
- Coûts qui résultent du recours au marché.
Par ailleurs, le recours à la concurrence s’est accompagné de coûts de transaction. Ainsi, dans les industries de réseau comme l’électricité, on a choisi de découper des compagnies, qui étaient intégrées verticalement. La transmission par le réseau est restée à la charge d’un seul opérateur (ERDF) mais la production et la vente ont été mises en concurrence. Or, les échanges d’informations nécessaires à la coordination entre toutes ces nouvelles entités ont un coût, qui peut être élevé. L’encadrement nécessaire au fonctionnement de la concurrence est lui aussi onéreux avec, entre autres, le coût de fonctionnement des différentes instances de régulation.
De plus, on peut craindre pour certaines activités un accroissement des coûts à la charge des contribuables. En effet, dans une situation de monopole, l’ensemble des bénéfices tirés de l’exploitation des activités rentables est utilisé pour financer et combler les pertes éventuelles sur le reste du réseau – ce qui permet de réduire d’autant les subventions publiques. L’ouverture à la concurrence peut avoir pour conséquence la concentration de l’activité sur les activités les plus rentables ce qui donne lieu à une hausse des profits, lesquels peuvent être redistribués aux usagers sous la forme d’une baisse des tarifs et aux actionnaires sous la forme de dividendes. Toutefois, dans le cadre des missions de service public, les activités les moins rentables seraient alors financées par les contribuables.
On peut dire également que la mise en concurrence des opérateurs dans les secteurs de services universels a dans certains cas conduit à baisser les coûts de production pour obtenir des marchés à ceux qui étaient les moins chers. Ceci a engendré une diminution progressive des standards minimaux de qualité et d’universalité normalement imposés par les États membres.
Enfin, des conséquences négatives concernant le volume de l’emploi et la qualité des conditions d’emploi dans le secteur des services doivent également être considérées.
Des délais parfois excessifs
Les délais de traitement des abus de position dominante peuvent poser problème, notamment lorsque le cas est particulièrement technique. Si le contrôle des concentrations intervient ex ante, l’action contre les ententes et les abus de position dominante, quant à elle, prend place ex post, une fois les comportements potentiellement illégaux observés. Cet examen, nécessairement long, peut être incompatible avec le temps des affaires dans des univers où certains comportements d’entreprises dominantes peuvent aboutir à la disparition de concurrents. Des instruments existent pour prendre des mesures rapides, qui figent le marché dans un état compatible avec la survie des concurrents, le temps que le cas soit traité, mais la Cour de justice de l’Union européenne en a peu à peu réduit la portée en imposant à la Commission d’avoir au préalable qualifié les pratiques pour prononcer de telles mesures, c’est-à-dire d’attendre que le problème soit résolu.
Ainsi, nous avons vu que la Commission européenne avait infligé une amende à Google au sujet de son système d’exploitation Android, mais cette amende a été mise en place en 2018 alors que cette pratique était jugée illégale depuis 2011. Ainsi, avec l’arrivée de sanctions tardives, les pratiques déloyales risquent de modifier le contexte concurrentiel à l’avantage des entreprises mettant en place des pratiques anticoncurrentielles.
La difficile prise en compte du numérique
Nous avons récemment observé une prolifération des plateformes internet qui connectent des individus de deux groupes, depuis le lancement en 1995 d’eBay, permettant des transactions de consommateur à consommateur. Or, la politique européenne de la concurrence a du mal à lutter contre les Gafam (Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft), mais aussi les BATX (Baidu, Alibaba, Tencent, Xiamoi), qui sont des plateformes numériques, dont la nature repose sur l’acquisition de positions dominantes.
On reproche à ces géants du numérique d’installer leur siège social dans un pays différent de celui où se trouvent leurs utilisateurs pour profiter des taux d’imposition plus faibles, comme Apple, qui a son siège européen à Cork, en Irlande, où le taux d’imposition sur les sociétés est le plus bas d’Europe. Cette pratique prive alors certains États de recettes fiscales et entraîne une forme de concurrence déloyale.
Prenons le cas d’Airbnb : c’est un service, qui connecte des voyageurs cherchant une location d’appartement à court terme et des propriétaires cherchant à gagner de l’argent en rendant leur logement disponible lorsqu’ils ne l’occupent pas.
Airbnb est donc une plateforme qui met en contact un groupe de locataires potentiels avec un groupe de propriétaires qui souhaitent offrir leur logement contre un loyer. Puisque les avantages pour les utilisateurs augmentent quand la taille du réseau d’utilisateurs augmente également, si deux versions de ce type de technologie sont en concurrence, celle qui réussit à attirer le plus grand nombre d’utilisateurs va avoir un avantage, même si l’autre est moins chère ou meilleure, créant un contexte favorable aux « acquisitions tueuses », c’est-à-dire le rachat de start-up innovantes, mais sans réel chiffre d’affaires important, par des géants qui cherchent à mettre à mal des concurrents potentiels.
Ces achats échappent au contrôle des concentrations lorsque les entreprises rachetées en sont à un stade précoce de développement, et exercent une influence nocive sur l’innovation. Ainsi, entre 1991 et 2018, les Gafam (Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft) ont réalisé 634 acquisitions pour un montant total de plus de 142 milliards de dollars.5
Politique de la concurrence et entreprises transnationales
La politique de la concurrence peine également à s’appliquer du fait de la mondialisation de l’économie qui conduit à la multiplication d’entreprises transnationales. En effet, la politique de la concurrence s’exerce à l’égard des entreprises européennes, mais il n’y a pas de politique de la concurrence commune à tous les États qui pourraient donc s’appliquer de manière uniforme sur tous les territoires.
Pour aller plus loin : l’article « Existe-t-il encore des champions industriels nationaux? »
Lisez cet article qui met en exergue l’évolution des champions nationaux et les enjeux autour de cette notion.
Synthèse
La politique de la concurrence menée par la Commission européenne s’assure donc que la concurrence entre les producteurs soit bien réelle au sein de l’Union européenne. Elle lutte contre les ententes entre les producteurs, les abus de position dominante. Elle surveille les opérations de concentration d’entreprises ainsi que les aides d’État. On lui reproche d’empêcher la création de champions nationaux mais aussi ses difficultés à s’adapter à une économie en pleine évolution.
5.4 Comment la politique monétaire et la politique budgétaire agissent-elles sur la conjoncture ?
Vous avez vu en classe de première qu’il existait des politiques économiques conjoncturelles afin d’agir sur l’activité économique. Par exemple, avec la crise de la Covid-19 survenue en 2020, les pouvoirs publics européens ont soutenu l’activité économique en mettant en place des politiques de relance budgétaire ou monétaire.
Nous allons donc voir dans cette partie comment la politique monétaire et budgétaire agit sur la conjoncture. Nous commencerons par étudier le rôle de la politique monétaire.
Comment la politique monétaire agit-elle sur la conjoncture ?
La mise en place de politiques de relance et de rigueur.
La politique monétaire au sein de la zone euro est du ressort de la Banque centrale européenne (BCE), qui est située à Francfort et qui a à sa tête Christine Lagarde. Elle est indépendante du pouvoir politique ; vous en verrez les raisons dans la Section 5.5.
Rappelez-vous votre cours de SES de la classe de première sur la monnaie : vous avez vu que l’instrument privilégié pour agir sur l’activité économique est le pilotage du taux d’intérêt directeur. Il existe une hiérarchie entre les taux d’intérêt.
- Banque commerciale ou banque de second rang
- Établissement financier dont les activités concernent avant tout les particuliers.
Ainsi, le taux d’intérêt directeur agit sur le taux d’intérêt du marché monétaire, qui agira lui-même sur le taux d’intérêt nominal (non déflaté) que la banque commerciale fixera lors de l’octroi d’un crédit à ses clients.
Question 5.1 choisissez le bon terme pour compléter ce texte
Les banques commerciales, lorsqu’elles sont en besoin de monnaie , doivent emprunter sur le marché , moyennant le versement d’un taux d’intérêt à court terme appliqué par les banques auxquelles elles empruntent. Mais ce taux n’est pas indépendant du taux auquel la banque centrale prête elle-même de la monnaie centrale :
- Si la banque centrale augmente son taux directeur, toute banque en excédent de monnaie centrale a intérêt à elle-même à ce taux puisque les intérêts sont l’une des sources de leur chiffre d’affaires donc de leurs profits.
- Si la banque centrale baisse son taux directeur, toute banque en besoin de monnaie centrale à la banque centrale et non aux autres banques si leur taux est plus élevé que le taux directeur.
Il y a ainsi une hiérarchie des taux d’intérêt : la variation du taux directeur de la banque centrale se traduit par une variation du taux d’intérêt à du marché monétaire, suivie par une variation des taux d’intérêt nominaux pratiqués par les banques dans les crédits qu’elles accordent aux agents non financiers.
La BCE contrôle alors la quantité de monnaie en circulation grâce au pilotage du taux d’intérêt directeur. Si elle souhaite soutenir l’activité économique, elle va mener une politique de relance monétaire. Elle va alors baisser le taux d’intérêt directeur puisque cela agira sur le canal du crédit et sur le canal du taux d’intérêt comme étudié en classe de première.
- refinancement
- Les banques commerciales ont besoin de monnaie centrale ou empruntent auprès d’autres banques sur le marché monétaire.
- demande globale
- Selon l’Insee, en économie ouverte, la demande globale se compose des consommations intermédiaires, des dépenses de consommation effective des ménages, de consommation collective des administrations publiques, de la formation brute de capital fixe, des exportations ainsi que des variations de stocks.
En effet, la baisse des taux d’intérêt directeur rend le refinancement des banques commerciales moins coûteux : elles baisseront alors le taux d’intérêt auquel elles prêteront de l’argent aux agents économiques. Grâce aux crédits accordés, les agents économiques pourront consommer et investir ; or, la consommation et l’investissement sont deux composantes de la demande globale. Celle-ci va par conséquent augmenter, stimulant la production des entreprises, qui pourront embaucher ce qui à terme permettra de soutenir l’activité économique en augmentant le PIB.
Notons que cette politique monétaire de relance a pour effet pervers de générer de l’inflation si la masse monétaire augmente plus vite que les quantités produites. De même, l’inflation fait perdre en compétitivité aux entreprises, qui exporteront moins.
La BCE peut aussi mener une politique monétaire de rigueur. Celle-ci a pour principal objectif de lutter contre l’inflation puisque la stabilité des prix est la mission prioritaire de la BCE. Celle-ci ne doit pas dépasser les 2 %. Ainsi, quand la masse monétaire en circulation est trop forte, la BCE va augmenter le taux d’intérêt directeur. Pour voir les implications de cette politique, complétez la Question 5.2.
Question 5.2 Complétez le schéma
Retrouvez les effets attendus d’une politique de rigueur monétaire en complétant les cases du schéma ci-dessous.
Une politique monétaire de rigueur a, donc, pour but de lutter contre l’inflation. Toutefois, cette politique peut freiner l’activité économique et créer du chômage, car la hausse des taux d’intérêt directeurs entraîne une hausse des taux d’intérêt nominaux pratiqués par les banques commerciales à leurs clients. L’offre de crédits diminue ce qui met à mal le niveau de demande globale et d’emploi, car la consommation et l’investissement baissent. Toutefois, l’inflation étant maîtrisée, les entreprises nationales gagnent en compétitivité-prix, ce qui leur permet alors d’exporter davantage.
Des politiques monétaires conventionnelles à non conventionnelles
Grâce à cette vidéo, vous allez pouvoir revoir le rôle de la banque centrale ainsi que la mise en place des politiques monétaires.
En vous appuyant sur cette vidéo, répondez aux questions suivantes.
- Quel instrument la BCE utilise-t-elle pour agir sur l’activité économique ?
- Qu’est-ce qu’une politique monétaire conventionnelle ?
- Pourquoi mettre en place des politiques monétaires non conventionnelles ?
- Quelles sont les modalités des politiques monétaires non conventionnelles ?
La BCE agit sur l’activité économique, principalement en pilotant le taux d’intérêt à court terme sur le marché monétaire ce qui influe sur le processus de création monétaire. Ainsi, en cas de surchauffe, la BCE augmente le taux d’intérêt directeur. En cas de ralentissement du PIB, elle le baisse. Ces politiques monétaires dites « conventionnelles » sont discrétionnaires, car elles évoluent en fonction de la conjoncture. Or, les politiques de relance mises en place dans les années 1980 ont échoué notamment du fait d’une hausse des prix. Depuis lors, la politique monétaire a un nouvel objectif prioritaire : la lutte contre l’inflation.
Dans le cadre européen, cette politique monétaire est contrainte par un objectif de stabilité des prix de 2 % en moyenne par an dans la zone euro. La politique monétaire n’est plus censée être utilisée pour relancer l’économie ; sa seule cible est la stabilité des prix.
Toutefois, la crise économique de 2008 a conduit les différents pays vers un risque de baisse des prix que l’on appelle la déflation. Si l’inflation a des effets pervers pour l’économie, il en est de même pour la déflation, qui peut conduire à un report des achats, car les individus attendent une nouvelle baisse des prix avant de consommer, ce qui réduit le niveau de demande globale. La politique monétaire a donc été un instrument pour éviter de basculer dans la déflation et pour augmenter le PIB.
Or, aujourd’hui, les politiques monétaires conventionnelles sont peu efficaces du fait de la faiblesse des taux d’intérêt. Les taux d’intérêt réels ne peuvent pas baisser davantage, car le taux nominal ne peut être durablement inférieur à zéro et l’inflation est très faible. Face à cette situation, la BCE se tourne alors vers des nouveaux outils de politique monétaire : les politiques monétaires dites « non conventionnelles » comme le montre l’Illustration 5.3 : Il s’agit, par exemple, du guidage des anticipations (forward guidance), et de l’achat massif de titres (assouplissement quantitatif : quantitative easing).
Pour aller plus loin : la vidéo « Le quantitative easing »
Pour en savoir plus, regardez la vidéo « Le quantitative easing » de Dessine-moi l’éco.
Synthèse
La politique monétaire agit sur la conjoncture en jouant sur le niveau des taux d’intérêt directeur. En cas de récession, la banque centrale baisse le taux d’intérêt directeur ; en cas de surchauffe de l’activité économique, elle l’augmente. Ces mesures de politique monétaire conventionnelle sont aujourd’hui complétées par des politiques non conventionnelles.
Nous venons d’étudier comment la politique monétaire agit sur la conjoncture, nous allons maintenant montrer que, à côté de la politique monétaire, il existe des politiques budgétaires, qui, elles, sont du ressort des États membres.
Comment la politique budgétaire agit-elle sur la conjoncture ?
Le rôle des politiques budgétaires pour stabiliser la conjoncture
Nous avons montré comment la politique monétaire peut être utilisée par la banque centrale pour stabiliser l’économie au cours d’une récession.
L’État pourrait aussi jouer ce rôle en réduisant les impôts ou en stimulant les dépenses. Faire approuver ces mesures par un Parlement peut être une lourde tâche. La politique budgétaire est difficile à ajuster et il s’agit d’un instrument peu souple.
- politique budgétaire
- Politique économique conjoncturelle qui vise à agir sur la situation macroéconomique par l’intermédiaire du budget de l’État. Voir également : relance budgétaire, demande agrégée (ou globale).
- dépense publique
- Ensemble des dépenses des administrations publiques pour acquérir des biens et services de consommation mais aussi des investissements publics. Les dépenses publiques sont donc une composante de la demande globale.
Au contraire, pour maintenir la demande globale proche du niveau souhaité, la banque centrale peut augmenter ou baisser le taux d’intérêt d’un petit montant, mois après mois, et c’est une des raisons pour lesquelles les politiques de stabilisation passent plus souvent par la politique monétaire que par la politique budgétaire.
Voici les instruments de la politique budgétaire : augmentation des dépenses publiques ou baisse des impôts pour soutenir la demande globale en période de récession, réduction des dépenses publiques et augmentation des impôts pour maîtriser une expansion économique.
Ainsi, la politique budgétaire vise à agir sur la conjoncture économique via ses effets sur la demande globale.
Pour cela, les autorités budgétaires utilisent le budget pour intervenir, soit par les dépenses publiques, soit par les recettes fiscales ou par le solde budgétaire.
Ce sont les travaux et les analyses de Keynes qui permettent de voir comment une politique budgétaire peut agir sur la conjoncture. John Maynard Keynes (1883-1946) est un économiste britannique. Il est le fondateur de la macroéconomie keynésienne et privilégie des politiques économiques de relance pour lutter contre les conséquences de la récession.
- choc
- Événement qui affecte l’activité économique comme un tsunami dans un pays ou la hausse du prix des consommations intermédiaires ou une baisse des salaires. On distingue les chocs d’offre des chocs de demande.
- demande effective
- Demande de biens de consommation et de biens de production anticipée par les producteurs.
Face à un choc de demande négatif qui peut entraîner une récession, les pouvoirs publics interviennent en soutenant le niveau de la demande globale.
Le soutien de la demande globale permet de relancer l’activité économique en luttant notamment contre un chômage keynésien, qui s’explique par une insuffisance de la demande effective que l’on appelle aussi la demande anticipée.
- relance budgétaire
- Utilisation par le gouvernement de la politique budgétaire (via une combinaison de baisse des taxes et de hausse des dépenses) dans le but d’augmenter la demande globale.
- produit intérieur brut (PIB)
- Mesure de la valeur marchande de la production de l’économie à une période donnée.
Lorsqu’un gouvernement réduit les impôts ou augmente les dépenses publiques lors d’une récession, il procède à une relance budgétaire. Le but est de contrebalancer la chute de demande globale du secteur privé. Une réduction des impôts a pour but d’encourager le secteur privé à dépenser plus, tandis qu’une augmentation des dépenses publiques constitue un ajout direct à la demande globale. Ainsi, les dépenses publiques, composante de la demande globale, vont inciter les agents économiques à plus consommer et investir ; cela permet alors aux entreprises de produire ce qui soutient l’activité économique et augmente alors le PIB. Cette hausse du PIB va permettre en retour de soutenir la consommation et l’investissement donc la production et le revenu national. Un cercle vertueux se met alors en place.
Voyons grâce à un exemple l’influence des dépenses publiques sur le niveau du PIB. Les données du Tableau 5.3 présentent les contributions de chaque poste de dépenses à la croissance du PIB des États-Unis. Les données portent sur 2009, au milieu de la récession causée par la crise financière mondiale.
PIB | Consommation | Investissement | Dépense publique | Exportations nettes | |
---|---|---|---|---|---|
2009 | −2,8 | −1,06 | −3,52 | 0,64 | −1,14 |
Federal Reserve Bank of St. Louis. 2015. FRED. Notez qu’en comptabilité nationale, l’investissement public est comptabilisé dans les dépenses publiques et non dans l’investissement.
Même si l’investissement représente moins d’un cinquième du PIB américain, il est responsable d’une part bien plus importante de la contraction de l’économie, comparativement à la baisse des dépenses de consommation. Bien que la consommation représente 70 % du PIB des États-Unis, l’effet de l’investissement sur le PIB fut trois fois plus important.
Nous pouvons observer que :
- Contrairement à la consommation et à l’investissement, les dépenses publiques ont contribué positivement à la croissance du PIB. Les États-Unis ont eu recours à des outils fiscaux pour soutenir l’économie à un moment où la demande émanant du secteur privé était atone.
- Les exportations nettes ont aussi contribué positivement au PIB, ce qui reflète à la fois le fait que les économies émergentes ont réalisé de meilleures performances au sortir de la crise et le fait que la demande en importations s’est effondrée avec la récession.
- déficit budgétaire public
- Solde budgétaire de l’État négatif.
La politique budgétaire de relance conduit à une hausse du déficit budgétaire public, car il y a une hausse des dépenses qui n’est pas compensée par une augmentation des prélèvements. Mais la hausse des dépenses publiques en permettant la hausse du PIB doit permettre de financer ce déficit.
La politique budgétaire permet aussi de lutter contre les situations de surchauffe de l’activité économique qui se caractérisent par une hausse des prix. Ainsi, en cas d’inflation, la politique budgétaire permet de lutter contre ces tensions inflationnistes (qui s’expliquent par une situation de plein emploi avec une offre inférieure à la demande globale) en diminuant le montant des dépenses publiques et en augmentant le montant des prélèvements obligatoires, ce qui freine le niveau de demande globale. L’activité économique ralentit alors, mais cela permet de lutter contre l’inflation.
Les gouvernements peuvent avoir recours à la politique budgétaire pour stabiliser l’économie, mais certains choix politiques peuvent parfois la déstabiliser.
- solde budgétaire de l’État
- Différence entre les recettes fiscales de l’État et les dépenses publiques (y compris les achats de biens et services des pouvoirs publics, l’investissement et les dépenses en transferts, comme les retraites et les allocations chômage). Voir également : déficit budgétaire public, excédent budgétaire public.
- transferts de l’État
- Dépenses de l’État sous la forme de paiements aux ménages ou individus. Les allocations chômage et les pensions de retraite sont des exemples de transferts. Les transferts ne sont pas inclus dans la dépense publique (G) de la comptabilité nationale. Voir également : dépense publique (G).
- excédent budgétaire public
- Solde budgétaire de l’État positif.
Parfois, un État choisit d’augmenter les impôts ou de réduire les dépenses pendant une récession parce qu’il est préoccupé par les effets de la récession sur son solde budgétaire. Le solde budgétaire de l’État est la différence entre les recettes de l’État moins les transferts, T, et les dépenses publiques, G, soit (T − G). Lorsque le solde budgétaire de l’État est négatif, on appelle cela un déficit budgétaire public – les dépenses publiques sur les biens et services, incluant les dépenses d’investissement plus les dépenses sur les transferts (comme les pensions de retraite et les allocations chômage) – sont plus importantes que les recettes fiscales de l’État. Un excédent budgétaire public a lieu lorsque les recettes fiscales sont plus importantes que les dépenses. Pour résumer :
- Équilibre budgétaire : G = T
- Déficit budgétaire : G > T
- Excédent budgétaire : G < T
- austérité
- Politique par laquelle un gouvernement essaye d’améliorer le solde budgétaire de l’État au cours d’une récession.
Imaginez qu’un État tente d’améliorer son solde budgétaire lors d’une récession en diminuant ses dépenses. Cela, tout comme une hausse des impôts, est qualifié de politique d’austérité. La détérioration de la position budgétaire d’un État lors d’une récession fait partie de son rôle de stabilisateur. Réciproquement, lorsque l’État choisit de contourner les stabilisateurs pour réduire son déficit, cela peut amplifier les fluctuations de l’économie.
Cela signifie-t-il que les gouvernements ne devraient jamais imposer l’austérité pour réduire un déficit budgétaire ? Non, cela signifie simplement qu’une récession n’est pas le meilleur moment pour le faire. Créer du déficit public dans une conjoncture économique inadéquate peut causer des problèmes.
Pour en savoir plus, regardez la vidéo « Austérité ou relance, comment choisir ? » de Dessine-moi l’éco.
Tout comme la politique monétaire, il existe des politiques budgétaires de relance ou de rigueur. Pour savoir comment ces politiques fonctionnent, visionnez la vidéo et répondez aux questions.
- Quels sont les instruments d’une politique budgétaire ?
- Expliquez le principe du multiplicateur.
- Quels sont les avantages d’une politique de relance ? Ses inconvénients ?
Vous avez vu dans le Chapitre 3 du programme de SES de terminale, comment les politiques budgétaires pouvaient en soutenant l’activité économique lutter contre le chômage. Les principes sont les mêmes ici. Les États membres vont choisir d’appliquer une politique budgétaire de relance ou de rigueur.
Le but d’une politique budgétaire de relance est de stimuler l’activité économique et par conséquent la croissance économique. Les États mettent en place des politiques budgétaires de relance notamment en cas de choc négatif ; ces politiques conduisent à une hausse du déficit public et de l’endettement.
Question 5.3 Complétez le schéma
Pour comprendre les mécanismes à l’œuvre, complétez le schéma suivant en choisissant le terme exact.
Question 5.4 Complétez le schéma
À l’inverse, en cas de surchauffe de l’activité économique ou bien pour réduire le déficit public, les États mettront en place une politique budgétaire de rigueur ou d’austérité. Complétez ce schéma en choisissant le terme exact.
Les limites des politiques budgétaires de relance
L’usage des politiques budgétaires de relance pour stabiliser l’économie se heurte à des limites.
L’effet d’éviction
Les politiques de relance budgétaire supposent d’augmenter le niveau des dépenses publiques et pour cela les États peuvent emprunter des fonds sur le marché financier. Or, cet emprunt conduit à une hausse de la demande de fonds prêtables qui devient alors supérieure à l’offre de fonds prêtables, ce qui entraîne mécaniquement une hausse des taux d’intérêt sur ce marché. Cette hausse des taux d’intérêt peut alors désinciter les agents économiques privés à emprunter pour investir. Or, si les entreprises investissent moins, la demande globale baisse, ce qui peut aller à l’encontre des objectifs de la politique de relance budgétaire.
Une hausse des prix
En stimulant le niveau de demande globale, la politique budgétaire de relance peut être confrontée à une insuffisance du niveau de l’offre qui est rigide à court terme, car il faut un temps d’adaptation pour les entreprises pour répondre à cette hausse de la demande globale. Il peut donc y avoir des tensions inflationnistes. De même, les entreprises n’investiront pas si elles n’ont pas confiance en l’avenir.
Une hausse du déficit public et de la dette publique
Les politiques budgétaires de relance conduisent à une hausse des dépenses publiques qui pose la question du creusement du déficit public et de la dette publique et de sa soutenabilité.
Comme vous le verrez dans la section suivante, la dette publique ne doit pas dépasser 60 % du PIB et le déficit public 3 % du PIB ce qui limite les marges de manœuvre de cette politique de relance. Ainsi, un trop fort déficit et endettement publics posent la question de la solvabilité d’un État et risquent de lui faire perdre la confiance des prêteurs.
De même, certains agents économiques anticipent une hausse des prélèvements obligatoires à venir du fait de la hausse du déficit et de la dette et préfèrent alors ne pas consommer, mais, au contraire, épargner, annulant ainsi les effets attendus de la politique budgétaire de relance.
Le risque de contrainte extérieure
La contrainte extérieure désigne la dépendance d’une économie à l’égard d’une autre économie. Par exemple, une politique budgétaire de relance, en stimulant le pouvoir d’achat des consommateurs, peut les inciter à recourir aux importations en provenance d’autres pays plutôt qu’à consommer des produits nationaux. Vous pouvez découvrir un exemple : celui de la relance en France en 1981 qui a été un échec du fait d’une trop forte contrainte extérieure.
Pour aller plus loin : un exemple de limite des politiques budgétaires de relance
Les échanges commerciaux avec d’autres pays limitent la capacité des décideurs à recourir aux politiques de relance budgétaire en période de récession.
Un exemple frappant est la France des années 1980. Au début de la décennie 80, l’économie française ne s’était pas complètement remise des chocs pétroliers des années 1970 qui avaient bouleversé l’économie mondiale. En 1981, le candidat socialiste François Mitterrand remporta l’élection présidentielle. Le Premier ministre de l’époque, Pierre Mauroy, mit en place un programme visant à stimuler la demande globale par l’intermédiaire d’une augmentation des dépenses publiques et d’une baisse des impôts.
Le Graphique 5.1 illustre ce qu’il s’est passé en France et en Allemagne, son plus important partenaire commercial. Les barres rosées indiquent les résultats de la France et les barres orangées, ceux de l’Allemagne. Les taux de croissance des exportations et des importations sont exprimés par rapport à 1979. Le graphique présente les résultats obtenus sur trois années. Au cours de la première année, il n’y avait pas de programme de relance ; au cours de la deuxième, la relance budgétaire fut mise en place en France ; la troisième année correspond à l’année suivant le plan de relance.
OECD. 2015. OECD Statistics. Remarque : les taux de croissance des exportations et des importations sont exprimés par rapport à 1979.
Si vous regardez le Graphique 5.1, vous constaterez que le solde budgétaire français (mesuré par (T − G) / Y) devient négatif. Nous pouvons interpréter cela en disant qu’à partir d’un budget équilibré en 1980, le déficit budgétaire se creusa pour atteindre près de 3 % du PIB en 1982, et crût encore en 1983.
Il y eut bien une stimulation initiale de la croissance française en 1982 (de 1,6 % à 2,4 %), mais elle faiblit rapidement, revenant à un niveau de 1,2 % en 1983.
Comment expliquer cela ? Le redressement de l’économie française incita les ménages français à augmenter leurs dépenses, mais la majeure partie de cette augmentation porta sur les biens étrangers. La relance française se propagea à des pays produisant des biens plus compétitifs, comme le Japon (produits électroniques) et l’Allemagne (voitures). Il y eut donc une augmentation des importations en France : comparées à leur niveau de 1979, les importations françaises avaient augmenté de 17,9 %, comme indiqué sur le Graphique 5.1. Les exportations allemandes avaient quant à elles augmenté de 17,1 % en 1982 et de près de 14 % en 1983. En conséquence, la croissance du PIB allemand fut supérieure à celle du PIB français en 1983. La politique de relance française a principalement bénéficié à ses partenaires commerciaux produisant des biens plus compétitifs. La France est alors passée derrière les autres pays européens, avec une croissance plus faible et un déficit budgétaire public élevé (supérieur à 3 % en 1983).
L’échec de la politique économique sous la présidence de François Mitterrand s’est traduit, d’un point de vue économique, par une pression sur le franc français (l’unité monétaire de l’époque) : entre 1981 et 1983, l’État français dut procéder à trois dévaluations pour rendre les biens français plus compétitifs que ceux produits à l’étranger. Pierre Mauroy se retira en 1984 et le nouveau Premier ministre, Laurent Fabius, mit en œuvre une politique d’austérité.
Cette expérience souligne les limites de l’utilisation d’une relance budgétaire pour réussir la stabilisation d’une économie frappée par une profonde récession. Le commerce avec d’autres pays limite la capacité des décideurs à recourir aux politiques de relance budgétaire en période de récession.
- chômage
- Situation dans laquelle une personne qui a la capacité et la volonté de travailler n’a pas d’emploi mais cherche un emploi rémunéré et déclaré.
Dans le cas de la France, la politique avait été mal conçue et retarda l’ajustement de l’économie française aux chocs qui l’avaient frappée dans les années 1970. Notez que le problème en France à cette époque n’était pas seulement un chômage élevé. L’augmentation de la demande agrégée stimula la dépense, mais pas la dépense sur des produits français.
La politique d’expansion de la demande en France fut une exception en Europe. Pendant ce temps, en Allemagne, le solde budgétaire restait quasiment équilibré au cours de ces trois années. Les déficits budgétaires étaient respectivement de 0 %, 0 % et 0,2 %.
Si les grandes économies européennes avaient adopté des politiques budgétaires expansionnistes au même moment, les résultats auraient été bien différents, car les retombées provenant, par exemple, d’Allemagne auraient stimulé l’économie française.
Vous verrez dans la section suivante que même si ces politiques budgétaires, à la différence de la politique monétaire, sont du ressort des États membres, elles sont contraintes par les traités européens.
Exercice 5.3 Politique budgétaire ou monétaire ?
- Dans le cas d’une crise financière, serait-il préférable pour le gouvernement d’utiliser la politique budgétaire ou la politique monétaire afin de stabiliser l’économie ?
- Quels sont les dangers associés à l’utilisation de la politique budgétaire ?
- Dans quelles situations le gouvernement pourrait-il ne pas avoir d’autre choix que d’utiliser la politique budgétaire ?
Question 5.5 Choisissez les bonnes réponses
Lesquels des événements suivants conduiraient à une augmentation du PIB ?
- Les importations représentent les dépenses en biens et services étrangers, donc une baisse des importations implique qu’une plus grande part de C, I et G, qui sont supposés constants, est dépensée dans la production domestique. Rappelez-vous que le PIB mesure la dépense sur la production domestique.
- Cela augmentera les revenus de l’économie domestique parce que les résidents de l’économie domestique sont plus riches, mais cela n’implique pas d’augmentation de la production de l’économie domestique.
- Une augmentation des dépenses publiques implique de plus grandes dépenses en termes de production domestique.
- Une baisse des exportations implique une réduction des dépenses des étrangers dans la production domestique, ce qui fait baisser le PIB.
Question 5.6 Choisissez les bonnes réponses.
Le Graphique 5.1 illustre les effets de l’augmentation des dépenses publiques et des réductions d’impôts de la France en 1982 sur les économies française et allemande.
En vous appuyant sur ces informations, lesquelles des affirmations suivantes sont correctes ?
- En 1983, (G – T) était en dessous de -3 %, contre 0 % en 1980.
- Le taux de croissance du PIB a augmenté au-delà de 2 % pendant l’année de l’expansion budgétaire (1982). Toutefois, il a rapidement rechuté à presque 1 % en 1983.
- Les exportations allemandes étaient beaucoup plus importantes en 1982–1983 qu’en 1979–1980.
- La politique budgétaire expansionniste peut être efficace si tous les pays adoptent des politiques expansionnistes simultanément.
Synthèse
La politique conjoncturelle est composée de la politique monétaire et de la politique budgétaire. La politique monétaire, en utilisant son instrument principal, le taux d’intérêt directeur, permet de jouer sur le volume de la demande globale. La politique budgétaire utilise quant à elle le niveau des dépenses publiques pour influencer la demande globale et stabiliser la conjoncture. Face à la faiblesse des taux d’intérêt directeurs qui pose alors la question de l’efficacité de la politique monétaire, la politique budgétaire, malgré la hausse de l’endettement des États qu’elle peut provoquer en cas de relance, semble être un levier d’action efficace pour agir sur la conjoncture économique et augmenter le PIB.
5.5 Quelles sont les difficultés soulevées par le défaut de coordination entre la politique monétaire et la politique budgétaire dans la zone euro ?
Quelles sont les caractéristiques de la politique monétaire menée par la Banque centrale européenne dans la zone euro ?
La politique monétaire de la zone euro est unique…
Le trilemme a été nommé en reconnaissance d’articles académiques publiés au début des années 1960 par Robert Mundell, un économiste canadien spécialiste du commerce international, et Marcus Fleming, un économiste britannique au Fonds monétaire international. S’appuyant sur ses recherches antérieures, Mundell a montré dans un article de 1963 que la politique monétaire devient inefficace lorsqu’il existe une libre circulation des capitaux et un taux de change fixe. L’article de Fleming a obtenu un résultat similaire.
La politique monétaire n’est pas nécessairement un outil disponible pour tous les pays. Le trilemme Mundell-Fleming, également connu sous le nom de triangle impossible ou triangle d’incompatibilité, stipule qu’un pays doit choisir entre une libre circulation des capitaux, un taux de change fixe et l’autonomie monétaire (les trois côtés du triangle dans l’Illustration 5.4). Seuls deux des trois critères sont possibles.6
The Economist. 2016. ‘The Mundell-Fleming trilemma’. Mis à jour le 27 août 2016.
Découvrons ensemble les implications du triangle des incompatibilités de Mundell-Fleming.
Si le taux de change est fixe mais que le pays est ouvert aux flux transfrontaliers de capitaux (côté A du triangle), une politique monétaire autonome ne peut pas être mise en place. Si un pays choisit la libre circulation des capitaux et souhaite l’autonomie monétaire (côté B), il doit laisser sa monnaie fluctuer. Enfin, un pays qui souhaite conserver la valeur de son taux de change fixe et avoir une politique monétaire libre de toute influence extérieure (côté C) ne peut pas permettre aux capitaux de circuler librement à travers ses frontières.
Pour comprendre ce trilemme, imaginez un pays avec un taux de change fixe par rapport au dollar américain et qui parallèlement est ouvert aux capitaux étrangers. Si sa banque centrale fixe les taux d’intérêt au-dessus de ceux fixés par la Réserve fédérale (nom de la banque centrale américaine), les capitaux étrangers en quête de rendements plus élevés afflueront. Ces flux augmenteront la demande de monnaie domestique. L’ancrage avec le dollar finira par se rompre. Si les taux d’intérêt sont maintenus en dessous de ceux des États-Unis, les capitaux quitteront le pays et la monnaie se dépréciera.
Quels sont alors les choix possibles pour un État ?
- Conserver une politique monétaire nationale indépendante et des changes fixes à condition de contrôler les mouvements de capitaux.
- Préserver l’indépendance de sa politique monétaire sans entraver la libre circulation des capitaux à condition de laisser son taux de change fluctuer librement.
- Donner la priorité à la stabilité du taux de change sans contrôler les mouvements de capitaux, mais il faut alors renoncer à toute politique monétaire autonome.
Les pays développés ont généralement choisi la première possibilité, mais les pays qui ont adopté l’euro ont choisi la deuxième.
En effet, les membres de la zone euro ont renoncé à leur propre politique monétaire quand ils ont rejoint l’union monétaire. Dans la zone euro, la politique monétaire est définie par la Banque centrale européenne (BCE) située à Francfort et les États membres n’ont aucun contrôle sur leur propre taux d’intérêt ou taux de change nominaux.
Comme vu précédemment dans la Section 5.2, la BCE fixe le taux d’intérêt directeur et elle contrôle par conséquent la base monétaire utilisée par toutes les banques de la zone euro. Cela signifie qu’il n’y a qu’une seule politique monétaire pour l’ensemble de la zone euro.
…et conduite de façon indépendante par la BCE
Rappelons d’abord que, au sein de l’Union européenne, les institutions monétaires sont les autorités qui sont chargées de mettre en place la politique monétaire. Leur mission est également d’assurer la surveillance du système bancaire et financier.
Découvrons d’abord le rôle de la BCE au sein de la zone euro grâce à cette vidéo : « La BCE et l’Eurosystème expliqué en trois minutes » de la BCE.
En vous appuyant sur cette vidéo, répondez aux questions suivantes.
Finalement, la principale autorité monétaire est le Système européen de banques centrales (SEBC), qui est composé de la Banque centrale européenne ainsi que de toutes les banques centrales nationales des différents États membres de la zone euro ou non.
Il est important de souligner que, dans la zone euro, la monnaie est commune et unique pour les 19 pays membres. Le rôle de la BCE est de définir une politique monétaire commune et indépendante des pouvoirs publics, qui se caractérise par un objectif principal, à savoir le maintien de la stabilité des prix.
La politique monétaire est indépendante des pouvoirs publics. En effet, si des gouvernements exerçaient un contrôle direct sur les banques centrales, les dirigeants politiques pourraient être tentés de modifier les taux d’intérêt à leur avantage afin de favoriser la croissance économique à court terme ou d’utiliser la monnaie de banque centrale pour financer des mesures populaires notamment en période d’élections.
Pour ceux qui veulent approfondir le point sur l’indépendance de la BCE, vous pouvez trouver des informations complémentaires sur ce lien : https://www.ecb.europa.eu/explainers/tell-me-more/html/ecb_independent.fr.html
De manière plus précise, l’objectif est de contenir un taux annuel d’inflation de moyen terme inférieur à proche de 2 %.
La politique monétaire de la zone euro se définit par ailleurs par l’intervention d’une autorité monétaire unique, la BCE, qui est chargée de la politique des taux d’intérêt directeurs. Elle a, dans sa mission d’origine, divers instruments à sa disposition, tels que des opérations d’open market (intervention sur le marché monétaire pour réguler la quantité de monnaie à laquelle les banques peuvent accéder), mais également la constitution de réserves obligatoires imposées aux banques commerciales rémunérées sur des comptes ouverts auprès des banques centrales nationales. C’est la BCE qui est responsable de l’augmentation ou de la diminution du taux de réserves obligatoires ce qui a des conséquences sur l’évolution de l’octroi de crédits aux agents économiques par les banques de second rang.
Inflation de l’IPC : OECD. 2015. OECD Statistics. Indépendance de la banque centrale : Vittorio Grilli, Donato Masciandaro, Guido Tabellini, Edmond Malinvaud, and Marco Pagano. 1991. ‘Political and Monetary Institutions and Public Financial Policies in the Industrial Countries’. Economic Policy 6 (13) (October): pp. 341–392.
Par conséquent, les pays à forte inflation ont accordé beaucoup plus d’indépendance à leur banque centrale, avec un objectif de stabilité des prix intégré dans ses statuts officiels. Rendre la banque centrale indépendante, avec une cible d’inflation explicite, permet à cette dernière de résister plus facilement aux pressions politiques.
Comme indiqué par le Tableau 5.4, ce taux cible se trouve en général autour de 2 % dans les pays développés, mais il est plus élevé dans les pays en développement.
- ciblage de l’inflation
- Politique monétaire dans laquelle la banque centrale modifie les taux d’intérêt pour influencer la demande globale dans le but de maintenir l’économie proche d’une cible d’inflation affichée par les pouvoirs publics.
Dès 2012, 28 pays avaient adopté le ciblage de l’inflation, reposant en général sur une fourchette d’inflation jugée acceptable. La Nouvelle-Zélande, qui avait une inflation élevée en 1989, a été pionnière en matière de ciblage de l’inflation.
Dans le cadre de la zone euro, la BCE est politiquement indépendante des gouvernements. Sa création et ses objectifs reflètent l’héritage de la Bundesbank, la banque centrale allemande, et par conséquent elle est plus indépendante que la Réserve fédérale américaine ou la Banque d’Angleterre.
La BCE définit ainsi sa propre politique monétaire en fonction de son objectif (stabilité des prix définie comme un taux d’inflation proche mais inférieur à 2 %). Ce taux d’intérêt peut être plus approprié pour certains pays membres que pour d’autres.
En particulier, après la crise financière, le chômage était faible et en baisse en Allemagne, alors que dans les pays du sud de la zone euro, comme l’Espagne et la Grèce, il était élevé et en forte hausse.
De nombreuses plaintes et réactions furent émises quant à la politique monétaire de la BCE, jugée trop restrictive sur une période trop longue au regard de la situation économique de ces pays.
Nous pourrons approfondir ce questionnement dans le dernier point de la section concernant les difficultés de coordination des politiques monétaire et budgétaire dans la zone euro.
Quelles sont les caractéristiques de la politique budgétaire qui est du ressort de chaque pays membre de la zone euro ?
La politique budgétaire est du ressort de chaque pays membre…
Comme étudié précédemment dans la Section 5.4, vous avez vu que la politique budgétaire reste du ressort des gouvernements et des parlements des États membres.
- cycle économique ou d’activité
- Alternance de périodes avec des taux de croissance rapides et lents (voire négatifs). L’économie va d’une expansion à une récession puis connaît de nouveau une expansion. Voir également : équilibre à court terme.
Il existe un budget européen, mais les contributions accordées par chaque État membre dans le cadre de ce budget européen demeurent extrêmement faibles (représentant à peine plus de 1 % du PIB). On voit bien que le budget européen n’a pas pour fonction de soutenir l’activité économique, que ce soit au niveau de l’Union (il est équilibré chaque année) ou au niveau des États membres (les transferts communautaires ne sont pas modulés en fonction du cycle d’activité ou fluctuations économiques).
Pour en savoir plus, regardez la vidéo « Le budget de l’UE » de Dessine-moi l’éco.
En vous appuyant sur cette vidéo, répondez aux questions suivantes.
…mais elle est contrainte par les traités européens.
- traités européens
- Traités conclus entre les États membres de l’Union européenne qui constituent le fondement juridique de la Communauté économique européenne puis de l’Union européenne. Ils définissent les principes de l’Union et établissent ses institutions, précisant leurs règles de fonctionnement et leur rôle.
Dans l’Union européenne, les politiques budgétaires restent du ressort des États membres, mais elles sont contraintes et encadrées par des règles inscrites dans les traités européens, notamment dans le pacte de stabilité et de croissance (PSC) de 1997, dont l’objectif est de limiter l’accumulation des dettes, qui peut fragiliser la stabilité économique et financière de la zone euro.
Examinons maintenant les différents critères de ce pacte de stabilité et de croissance établis en 1997.
- dettes publiques
- Somme de toutes les obligations vendues par l’État au cours du temps pour financer le déficit, moins celles arrivées à échéance.
Le pacte de stabilité et de croissance stipule au départ que les déficits budgétaires nationaux doivent être maintenus en dessous de 3 % du PIB et que les dettes publiques nationales doivent être maintenues en dessous de 60 % du PIB.
Deux autres critères sont énoncés en 1997 : le taux d’inflation ne doit pas excéder de plus de 1,5 point le taux d’inflation des trois États membres présentant le taux le plus bas et le taux d’intérêt à long terme ne doit pas dépasser de plus de 2 % les taux d’intérêt à long terme des trois pays membres ayant les meilleurs résultats en termes d’inflation.
N’oublions pas l’interdiction de financement des dettes et des déficits par la Banque centrale européenne et l’interdiction de solidarité financière entre États membres.
Pourquoi le niveau du déficit et de la dette d’un pays membre devrait-il préoccuper l’Union européenne ou la Banque centrale européenne ? N’est-ce pas une question de politique purement nationale ?
En 2012, la plupart des États membres de l’Union européenne ont signé « un Pacte budgétaire européen », qui fixe une « règle d’or budgétaire », à savoir que tous les pays s’engagent à voter chaque année des budgets en équilibre ou en excédent. Le déficit structurel, qui ne tiendrait pas compte de la conjoncture, ne devra plus dépasser 0,5 % du PIB.
Enfin, en 2015, un assouplissement du Pacte de stabilité de croissance a été décidé au vu de la situation budgétaire des États membres de la zone euro. Des marges de manœuvre peuvent être accordées aux États dépassant la limite des 3 % du PIB de déficit public.
Autre actualité concernant l’évolution de ces critères de convergence du PSC : en 2016, à l’initiative de la Commission européenne, l’idée d’une coordination renforcée des politiques économiques a été évoquée. L’Allemagne a refusé cette idée.
La raison de l’inquiétude supranationale concernant les déficits et les niveaux d’endettement des pays membres découle des craintes des conséquences des décisions politiques nationales sur la zone euro. Une dette trop importante pourrait mettre à mal la stabilité financière de toute la zone euro, comme nous allons le voir maintenant.
Lorsqu’il existe un déficit budgétaire, l’État doit emprunter pour combler l’écart existant entre ses recettes et ses dépenses.
L’État emprunte en vendant des obligations. Rappelons que les obligations sont des valeurs mobilières, qui constituent une créance sur leurs émetteurs. Les entreprises et les ménages achètent ainsi des obligations. Les ménages les détiennent souvent indirectement car elles sont achetées par des fonds de pension (fonds d’investissement spécifiques à la retraite par capitalisation) auprès desquels les ménages placent leur pension de retraite.
Du fait de la mondialisation des marchés financiers, les agents économiques étrangers peuvent également acheter des obligations nationales. Les obligations d’État sont attrayantes pour les investisseurs, car elles paient un taux d’intérêt fixe et sont généralement considérées comme un investissement sûr : le risque de défaut des obligations d’État est généralement faible.
Les investisseurs tendent à vouloir détenir ainsi une combinaison d’actifs sûrs et les obligations d’État font normalement partie des actifs les plus sûrs qu’ils puissent détenir.
Notons également que l’émission d’obligations accroît la dette publique. En effet, un stock élevé de dettes par rapport au PIB peut constituer un problème car, comme un ménage, l’État doit payer les intérêts sur sa dette et doit percevoir des recettes pour payer ces intérêts, ce qui peut nécessiter d’augmenter les impôts. Cependant, les États ne sont pas comparables aux ménages dans la mesure où il n’y a pas d’échéance à laquelle ils doivent rembourser tout leur stock de dettes. En effet, quand des obligations arrivent à échéance, les États émettent généralement d’autres obligations et conservent ainsi un stock de dettes. C’est ce que l’on appelle un refinancement de la dette, que les entreprises pratiquent également pour financer leurs activités.
Étant donné que les obligations d’État sont généralement considérées comme un actif peu risqué en dehors des périodes de crise, les investisseurs privés demandent souvent de la dette publique.
Le Graphique 5.3 montre, par exemple, la trajectoire de la dette publique du Royaume-Uni entre 1700 et 2014. Le niveau d’endettement d’un État est mesuré par rapport à la taille de son économie, c’est-à-dire en pourcentage du PIB.
Comme l’indiquent les données de long terme du Royaume-Uni sur le Graphique 5.3, il n’y a pas de règle générale sur la quantité de dettes que les États peuvent avoir sans prendre de risques.
Ryland Thomas and Nicholas Dimsdale. (2017). ‘A Millennium of UK Data’. Bank of England OBRA dataset.
Une crise de la dette souveraine est une situation dans laquelle les obligations d’État commencent à être perçues comme risquées. De telles crises de dette émise ou garantie par des États souverains ne sont pas rares dans les économies en développement et émergentes, mais le sont dans les économies avancées.
En principe, les marchés devraient évaluer tout risque différentiel de défaut sur la dette publique entre les membres de la zone euro en fonction du prix des obligations de ce pays. Le problème est que, une fois que le risque de défaut augmente chez un membre, la contagion peut survenir à d’autres États membres. Il s’agit clairement d’un effet possible des choix de politique budgétaire d’un État membre sur les autres au sein de la même zone.
Les pays de la zone euro doivent donc veiller à ne pas avoir une dette publique trop excessive afin de maintenir la stabilité de la zone euro.
En effet, un pays qui opterait pour une politique budgétaire de relance risque de voir son inflation augmenter. Or, comme la BCE a pour objectif principal la stabilité des prix, elle risque d’augmenter les taux d’intérêt pour l’ensemble de la zone euro créant ainsi un risque de crédit ou d’insolvabilité des États du fait de cette hausse des taux d’intérêt d’emprunt.
La coordination entre ces différentes autorités doit donc passer par des règles précises et contraignantes pour éviter le risque que certains pays se comportent en passager clandestin.
Question 5.7 Vérifiez vos acquis : choisissez le bon terme pour compléter ce texte
Si un État membre de la zone euro mène une politique budgétaire trop , il accroît fortement son endettement public. La BCE est alors soumise à des contraintes dans le choix de sa politique monétaire.
En effet, si la BCE souhaite mener une politique monétaire restrictive, elle accroît le risque de cet État, car la hausse des taux d’intérêt directeurs alourdit la charge de la dette de ce pays et empêche alors la réduction de son déficit budgétaire, donc de son endettement. Cette augmentation du risque de défaut de remboursement de la dette de cet État aurait des conséquences en chaîne sur l’ensemble de la zone puisque les banques de la zone qui détiennent ces titres de dette seraient fortement .
La BCE se trouve donc contrainte de mettre en œuvre une politique monétaire qui, en baissant les taux d’intérêt directeurs, faciliterait le financement de la dette et en accélérant dans la zone permettrait une de la dette de cet État. Or, dans la zone euro, la BCE a pour objectif premier la stabilité des prix, d’où des difficultés de coordination.
C’est ainsi que la crise de l’euro a commencé. Pour en savoir plus, regardez la vidéo de Dessine-moi l’éco « Le rôle de la BCE face à la crise de la dette ».
En vous appuyant sur cette vidéo, répondez aux questions suivantes.
Synthèse
Dans la zone euro, la politique monétaire est conduite par la BCE de façon indépendante ; elle est unique et a pour objectif la stabilité des prix. La politique monétaire européenne peut être expansive ou restrictive et nous savons que, depuis la crise de 2008, le recours à des politiques non conventionnelles, comme le quantitative easing, n’a pas permis de lutter de manière efficace contre les risques de déflation. Par ailleurs, la politique budgétaire est du ressort de chaque État membre, mais elle est encadrée par les règles des traités européens.
Quelles sont les difficultés de coordination des politiques monétaire et budgétaire dans la zone euro ?
- défauts de coordination
- Lorsque les États membres de l’Union européenne se coordonnent sur un équilibre inefficace.
Découvrons ensemble les difficultés pour coordonner de manière efficace les politiques monétaire et budgétaire au sein de la zone euro avant d’étudier de manière plus précise les divergences des situations économiques des États membres, l’existence de chocs asymétriques et leurs conséquences et, enfin, la difficulté au niveau de la mise en place d’un policy mix au sein de la zone euro.
Regardons d’abord la vidéo de Dessine-moi l’éco « Peut-on concilier diversité des modèles européens et monnaie unique ? » pour constater l’importante hétérogénéité macroéconomique des États membres.
En vous appuyant sur cette vidéo, répondez aux questions suivantes.
Des défauts de coordination entre la politique monétaire et la politique budgétaire
Nous avons vu, depuis le début de ce chapitre, que la zone euro est une structure économique et financière unique.
- La BCE est chargée d’utiliser la politique monétaire pour répondre aux chocs macroéconomiques à l’échelle de la zone euro et, en même temps, elle doit maintenir une inflation faible et stable dans la zone.
- Les gouvernements nationaux sont responsables de leur soutenabilité budgétaire, doivent assurer la stabilisation des chocs subis par chacun d’entre eux et, en même temps, gérer les conséquences des chocs qu’ils subissent tous. On sait très bien que leurs situations macroéconomiques différentes peuvent expliquer leur capacité à résister ou pas à ces chocs macroéconomiques, comme on a pu le constater lors de la crise de 2008.
Pour mieux comprendre ces défauts de coordination entre la politique monétaire et la politique budgétaire, examinons la divergence des économies de la zone euro à l’aide des chiffres du Tableau 5.4.
Taux de chômage (en %) | Taux de croissance du PIB réel (en %) | Taux d’inflation (en %) | |
---|---|---|---|
Allemagne | 3,4 | 1,5 | 1,9 |
Espagne | 15,3 | 2,4 | 1,7 |
Grèce | 19,3 | 1,9 | 0,8 |
Irlande | 5,8 | 8,2 | 0,7 |
Source : Eurostat, 2020.
Répondez aux questions suivantes :
- Comparez la situation macroéconomique de l’Allemagne, de l’Irlande et de l’Espagne.
- Rappelez le type de politique monétaire souhaité par un pays tel que l’Allemagne. Pourquoi ?
- Quelles sont les conséquences d’une politique monétaire restrictive ? Citez un pays qui pourrait être pénalisé par cette politique conjoncturelle.
Vous pouvez compléter ce constat chiffré en consultant les données macroéconomiques pour la France sur le site Eurostat.
Pour mieux comprendre cette trop forte hétérogénéité économique des États membres de la zone euro, on peut se référer aux travaux de Patrick Artus, qui présente les causes institutionnelles de cette divergence dans un article intitulé « La zone euro organise structurellement la divergence des pays » et publié dans Flash Économie, en mars 2018.
Lisons ensemble quelques extraits de cet article.
La zone euro a plusieurs caractéristiques qui organisent de manière structurelle la divergence des situations économiques des pays […] : puisque la politique monétaire est commune, elle est stimulante dans les pays en croissance supérieure à la moyenne de la zone euro, elle est restrictive dans les pays en croissance inférieure à la moyenne de la zone euro, ce qui accroît la divergence entre les économies.
Le budget fédéral commun est de petite taille dans la zone euro. Ceci veut dire qu’un pays en difficulté doit d’abord soutenir son économie puis réduire son déficit public sans recevoir d’aide des autres pays, ce qui aggrave ses difficultés. Ceci s’est clairement vu de 2008 à 2014 pendant la récession et la crise de la zone euro, dans les pays périphériques.
La divergence des spécialisations productives. Dans une union monétaire, les pays peuvent exploiter facilement leurs avantages comparatifs, avec la disparition du risque de change, ce qui conduit à la divergence des spécialisations productives à l’instar des divergences de poids de l’industrie dans les économies.
Finalement, la première difficulté réside dans un défaut de coordination des politiques conjoncturelles, autrement dit un manque de cohérence entre la politique monétaire définie par la BCE dans la zone euro et les politiques budgétaires, définies au niveau national mais encadrées par des règles précises. Effectivement, ces règles budgétaires n’ont pas permis d’éviter la crise des dettes souveraines dans la zone euro entre 2009 et 2012. Elles ont même contribué à la mise en place de politiques budgétaires d’austérité en période de grave récession ce qui a provoqué des différentiels très importants au niveau de la croissance économique entre États membres. De plus, au vu de la faiblesse du budget européen, seule la politique monétaire peut jouer un rôle stabilisateur alors que cela n’est en aucun cas son premier objectif.
Par conséquent, nous comprenons que la politique monétaire est procyclique (allant dans le sens du cycle), car le taux nominal unique induit des taux d’intérêt réels (le taux d’intérêt réel correspond au taux d’intérêt nominal moins le taux d’inflation) plus faibles dans les pays à plus forte croissance économique et le budget européen ne permet pas de soutenir les États membres en difficulté économique, qui sont ainsi obligés d’adopter une politique conjoncturelle de réduction des dépenses publiques.
Pour aller plus loin : l’ouvrage « Les Vingt Ans de l’euro : bilan et enjeux futurs »
Vous pouvez également vous reporter à la lecture de l’ouvrage Les Vingt Ans de l’euro : bilan et enjeux futurs, L’Économie européenne, 2019, de Christophe Blot, Jérôme Creel et Xavier Ragot pour approfondir les risques des divergences économiques entre les États membres de la zone euro.
Existence de chocs asymétriques
La BCE réagit aux chocs communs à la zone euro dans son ensemble, appelés chocs à l’échelle de la zone ou symétriques, autrement dit tout événement exogène qui a un impact sur l’ensemble des pays de la zone (exemple de la pandémie de la Covid-19 survenu en 2020).
- choc asymétrique
- Événement exogène qui ne touche pas tous les pays de la même façon.
Mais il existe aussi des chocs qui affectent différemment les pays membres. Ces chocs sont appelés chocs spécifiques au pays ou asymétriques. Ces chocs asymétriques correspondent à tout événement exogène qui n’affecte qu’un ou plusieurs pays de la zone concernée. En effet, certains pays entrent en récession et d’autres en expansion. La question de l’absorption des chocs asymétriques est au cœur de la théorie des zones monétaires optimales.
En effet, Robert Mundell considère que pour qu’une zone géographique puisse faire face à un choc asymétrique elle devait être une zone monétaire optimale.
Selon lui, pour qu’une zone monétaire soit optimale, il faut mettre en place des instruments d’ajustements alternatifs à la perte d’autonomie des États membres, de la politique monétaire et du taux de change.
Cette thèse est à mettre en lien avec le triangle d’incompatibilité que nous avons étudié plus haut. Pour compléter, Mundell cite ainsi, comme instruments alternatifs, la parfaite mobilité des facteurs de production, la flexibilité des taux de salaires réels, une politique budgétaire ou des transferts budgétaires au sein de la zone pour ajuster les déséquilibres.
Appliquons alors cette analyse à la zone euro : la mobilité de la main-d’œuvre se heurte à la barrière de la langue et à une culture différente qui ne permet pas la mobilité géographique des Européens.
Quant à la flexibilité des salaires, elle ne peut être mise en place au vu des différentes lois existant au sein des pays de la zone euro. Par ailleurs, les pays de la zone euro sont limités dans l’utilisation de la politique budgétaire par les traités européens. Enfin, la faiblesse du budget communautaire empêche un rééquilibrage par des transferts fédéraux. On en arrive alors à la conclusion que, à ce jour, la zone euro n’est pas une zone monétaire optimale.
Étude de cas
Après la création de l’euro, on a assisté à un mouvement massif de capitaux du centre de l’Europe (principalement l’Allemagne mais aussi les Pays-Bas) vers sa périphérie (en Espagne, en Grèce), entraînant une période d’expansion économique et des taux d’inflation nettement plus élevés en périphérie par rapport à l’Allemagne.
Étudions plus précisément les conséquences de ces phénomènes :
Lorsque les flux de capitaux privés du centre vers la périphérie se sont soudainement arrêtés, laissant les économies périphériques avec des prix et des coûts salariaux unitaires bien au-dessus de ceux du centre, la monnaie unique s’est soudainement heurtée à un problème d’ajustement.
L’héritage de ces augmentations de salaires en période de boom a eu des conséquences négatives, notamment sur le niveau de compétitivité des entreprises, en particulier ce qui rend nécessaire la baisse une nouvelle fois des salaires.
Par exemple, l’Islande a soudainement décidé de baisser les salaires d’environ 25 % par rapport au centre européen, via une chute de sa propre monnaie, la couronne.7 La « dévaluation interne » (restaurer la compétitivité par des réductions de salaires par opposition à une dévaluation) s’est avérée extrêmement difficile.
Le Tableau 5.5 présente les coûts horaires de la main-d’œuvre dans le secteur privé de plusieurs économies périphériques de la zone euro qui se caractérisent par des marchés du travail très flexibles. Malgré un chômage très élevé, une faible réduction de leurs coûts horaires de la main-d’œuvre est observée.
2006 | 2007 | 2008 | 2009 | 2010 | 2011 | |
---|---|---|---|---|---|---|
Estonie | 73,1 | 87,8 | 100 | 98,2 | 96,2 | 100,7 |
Irlande | 91,5 | 95,7 | 100 | 103,1 | 102,4 | 100,7 |
Lettonie | 62,8 | 81,7 | 100 | 99,9 | 97,1 | 100,3 |
Krugman, P., 2013. Revenge of the optimum currency area. NBER Macroeconomics Annual, 27(1), pp.439–448.
Ce n’est pas seulement qu’une union monétaire est soumise à une politique monétaire unique, mais la perte d’un mécanisme d’ajustement est encore plus préjudiciable. Les inconvénients d’une monnaie unique proviennent de la perte de flexibilité.8
De manière générale, nous savons maintenant que les objectifs de convergence économique entre les pays membres de la zone euro ne permettent pas de lutter de manière efficace contre tous les chocs asymétriques.
Pourquoi ? Les États ne peuvent plus utiliser l’instrument de la politique monétaire pour répondre à un choc asymétrique et ils sont encadrés sur le plan budgétaire par des règles précises indiquées dans les traités. En plus, il est important de souligner que, en cas de chocs asymétriques, il est impossible dans la zone euro d’utiliser comme solution la mobilité des facteurs de production, car elle est trop faible au sein de l’Union européenne, ni le taux de change pour procéder à des dévaluations nationales. Autrement dit, les quatre instruments possibles pour contrer tout choc asymétrique, à savoir la politique monétaire, la politique budgétaire, le taux de change ou la mobilité des facteurs de production, sont inefficaces dans la zone euro avec une monnaie unique.
Par conséquent, la politique monétaire menée par la BCE ne peut pas adapter ses taux d’intérêt à un pays qui subit un choc asymétrique. Comme les États membres de la zone euro ne peuvent pas agir sur la conjoncture, ils doivent réduire leur demande domestique, ce qui accentue leurs difficultés économiques. C’est ce que nous allons voir dans le dernier questionnement, à savoir les difficultés de mise en place d’un policy mix efficace.
Pour aller plus loin : la vidéo Économiste en action avec Barry Eichengreen
- Grande Dépression
- La période de forte baisse de la production et de l’emploi dans beaucoup de pays dans les années 1930.
Pour en savoir plus, visionnez la vidéo Économiste en action dans laquelle l’économiste et historien économique Barry Eichengreen commente les systèmes de taux de change fixes comme l’étalon-or lors de la Grande Dépression et le système de l’euro à la suite de la crise financière.
Exercice 5.4 Avantages et inconvénients des taux de change fixes
- Selon la vidéo, quels sont les avantages et les inconvénients des systèmes de taux de change fixes ?
- Comment les pays ayant adopté ces taux de change peuvent-ils répondre de manière efficace aux chocs économiques ?
- Quelles sont les caractéristiques du système de l’euro, qui rendent difficile la mise en place de réponses efficaces ?
Mais s’il y a une forte mobilité de la main-d’œuvre (comme vu précédemment avec le concept de zone monétaire optimale), le plein emploi peut au contraire être rétabli par l’émigration, qui réduit la main-d’œuvre aux emplois disponibles. Il semble que les flux migratoires se soient équilibrés au lendemain de la crise financière. En effet, les flux nets d’immigration dans les pays touchés par la crise, comme l’Espagne et l’Irlande, se sont transformés en flux nets d’émigration. Qui plus est, l’immigration nette dans les pays comme l’Allemagne et l’Autriche, marqués par des taux de chômage faibles, a progressé.
Eurostat (2016), « Démographie et migration », Base de données Eurostat. Notes : « Immigration » désigne le fait pour une personne d’établir sa résidence habituelle sur le territoire d’un État membre pour une période d’au moins 12 mois après avoir résidé auparavant de façon habituelle dans un autre État membre. Le terme « émigration » désigne le fait, pour une personne ayant auparavant résidé de façon habituelle dans un pays de l’UE, de cesser d’y avoir sa résidence habituelle pendant une période d’au moins 12 mois. Les données correspondent à l’UE27 pour 2008 et à l’UE28 pour 2013. Les données sur les flux migratoires internationaux sont issues principalement de sources administratives ou d’enquêtes nationales, de sorte que les différences dans les définitions et pratiques peuvent avoir un effet sur la comparabilité des données d’un pays à l’autre. En 2009 pour la Pologne et 2010 pour la Belgique.
Si la crise financière de 2008 a bien engendré des flux de main-d’œuvre stabilisateurs dans l’Union européenne, ces mouvements ont essentiellement eu lieu entre les nouveaux et les anciens pays membres de l’UE et, quoi qu’il en soit, l’impact global de ces flux a été trop limité pour permettre un ajustement aux chocs sur le marché du travail de la région. Cela s’explique par des facteurs non politiques, comme les différences culturelles et linguistiques, ainsi que par des obstacles politiques, notamment l’absence d’harmonisation des systèmes de sécurité sociale et des qualifications professionnelles, et par d’autres obstacles juridiques et administratifs.
Conséquences : difficultés de mise en place d’un policy mix
La BCE répond aux chocs symétriques, c’est-à-dire ceux qui affectent tous les membres, en choisissant le taux d’intérêt réel pour atteindre son objectif d’inflation. Si le déficit budgétaire est déjà proche de 3 %, l’application du Pacte de stabilité et de croissance en période de ralentissement économique conduit toutefois à une politique budgétaire restrictive aggravant la situation.
La zone euro est caractérisée par la combinaison d’une politique monétaire unique gérée par la BCE et de politiques budgétaires nationales mais encadrées par le PSC. La crise de 2008 a montré au grand jour ces déséquilibres macroéconomiques en favorisant une crise de la dette publique.
Les États membres de l’Union européenne sont de plus en plus interdépendants, mais ils sont aussi de plus en plus hétérogènes accentuant alors la difficulté à utiliser les politiques conjoncturelles pour faire face aux chocs asymétriques et rendant difficile la coordination des politiques économiques notamment le policy mix, c’est-à-dire la combinaison de la politique monétaire et budgétaire.
On sait que la mise en place d’un policy mix cohérent influence l’efficacité des politiques conjoncturelles. En effet, une politique budgétaire de relance (expansive) sera plus pertinente si elle s’accompagne d’une politique monétaire de type expansive avec une baisse des taux d’intérêt directeurs ce qui permet d’éviter d’ailleurs l’effet d’éviction.
Pour aller plus loin : la difficulté de mettre en place un policy mix
Chaque pays membre étant responsable de sa dette, chacun peut attendre de ses partenaires qu’ils relancent leurs économies afin de bénéficier des effets positifs de leur relance budgétaire (via les exportations vers ces pays) sans en supporter le coût. Mais chaque État membre agissant ainsi, les différents pays se retrouvent dans une configuration de dilemme du prisonnier, étudié en classe de première. Les politiques budgétaires sont donc difficiles à coordonner, mais il est difficile également de coordonner une politique monétaire unique avec des politiques budgétaires qui sont du ressort des États membres. Étudions le tableau suivant qui présente les quatre politiques possibles de policy mix.
Politique monétaire | ||
---|---|---|
Politique budgétaire | Relance | Rigueur |
Relance | 1 | 2 |
Rigueur | 3 | 4 |
Situation 1. Par une politique monétaire de relance, la baisse des taux d’intérêt permet une politique budgétaire peu coûteuse, mais avec un risque d’inflation.
Situation 2. Une augmentation des taux d’intérêt directeurs entraîne une diminution de la demande globale, qui peut être contrecarrée par une politique budgétaire de relance, mais cette politique est plus chère à financer.
Situation 3. Une politique budgétaire restrictive accompagnant la relance monétaire peut mener à des politiques qui s’annulent.
Situation 4. Accompagnée d’une politique budgétaire restrictive, la politique monétaire restrictive mène à un meilleur contrôle de l’inflation, au risque d’un niveau plus faible de production.
Les politiques économiques sont donc interdépendantes mais difficiles à coordonner.
Selon la situation économique des pays, la politique monétaire peut être trop restrictive ou trop accommodante. Par conséquent, les pays vont devoir utiliser leur politique budgétaire pour compenser les effets contrastés de la politique monétaire sur leur activité économique. Les pays en situation de surchauffe seront incités à mettre en place des politiques restrictives qui auront un impact négatif sur les pays en situation de récession et, à l’inverse, ces derniers seront incités à mettre en place des politiques de relance. Ainsi, chaque pays sera incité à prendre des mesures qui ne seront pas nécessairement compatibles entre elles. Il n’y a donc pas de mise en place d’un véritable policy mix à l’échelle de la zone euro.
Question 5.8 Choisissez le terme exact pour compléter ce texte
Si un pays membre de la zone euro subit un choc asymétrique , il doit mener une politique budgétaire expansionniste dans le but de relancer son activité ce qui favorisera également in fine la de la zone euro (du fait de l’interdépendance des économies). Mais les États membres ne sont pas nécessairement incités à mener une telle politique, car celle-ci va à court terme leur déficit public (par la hausse des dépenses publiques) et peut conduire à une dégradation de leur compétitivité via les tensions inflationnistes qu’elle génère.
Les États membres peuvent donc être incités à mener des politiques non coopératives qui auront un impact négatif sur l’activité économique des pays touchés par un choc asymétrique et in fine sur la croissance de la zone euro : il y a donc un de coordination.
Synthèse
Dans la zone euro, il existe des difficultés de coordination des politiques conjoncturelles. Les règles budgétaires imposées par les traités n’ont pas permis de résoudre la crise des dettes entre 2009 et 2012 en particulier. Elles ont même permis la mise en place de politiques budgétaires de rigueur en période de ralentissement net de l’activité économique. Ces choix de politiques conjoncturelles renforcent l’hétérogénéité des situations macroéconomiques des États membres et, en l’absence d’un budget européen effectif, seule la politique monétaire menée par la BCE peut jouer un rôle stabilisateur.
On sait de plus que les États membres de la zone euro ne peuvent pas mettre en place une gouvernance économique efficace pour faire face aux chocs asymétriques. La zone euro est caractérisée par un policy mix marqué par une politique monétaire unique par la BCE et des politiques budgétaires nationales encadrées. Cela favorise une divergence des économies au sein de la zone euro.
5.6 Conclusion
L’Union européenne illustre le processus d’intégration économique et l’intégration européenne s’est faite par étapes.
Les pays membres de l’Union européenne constituent un marché unique, mais certains pays, du fait de l’adoption de l’euro, constituent la zone euro.
La création de ce marché unique, parce qu’il a des effets sur les consommateurs et les producteurs, est source de croissance économique.
Le processus d’intégration économique conduit les pays membres de l’Union européenne à mettre en place des politiques communes, comme la politique de la concurrence qui surveille les opérations de fusions-acquisitions, lutte contre les ententes et les abus de positions dominantes et surveille les aides d’État. La politique de la concurrence est au centre d’enjeux et de débats : on l’accuse parfois d’être en opposition avec la politique industrielle ; de ne pas favoriser l’existence de champions nationaux ou de remettre en cause l’existence des services publics.
Pour agir sur la conjoncture économique, les pays membres de l’Union européenne disposent de la politique monétaire et budgétaire. Dans le cas des pays membres de la zone euro, la politique monétaire est du ressort de la BCE alors que les politiques budgétaires restent du ressort des États membres, mais sont contraintes par les traités européens, notamment le pacte de stabilité et de croissance.
Le fait que la politique monétaire soit conduite de façon indépendante par la Banque centrale européenne et soit unique alors que la politique budgétaire est du ressort de chaque pays membre soulève des difficultés, notamment le défaut de coordination et la difficulté à faire face à des chocs asymétriques.
Concepts introduits dans le Chapitre 5
Avant de continuer, revoyez ces définitions :
5.7 Références bibliographiques
-
Dani Rodrik. 2012. The Globalization Paradox : Democracy and the Future of the World Economy. United States : W. W. Norton & Company. ↩
-
Vincent Aussilloux, Charlotte Emlinger & Lionel Fontagné « Y a-t-il encore des gains à l’achèvement du marché unique européen ? » La Lettre du CEPII N°316, Décembre 2011, CEPII. ↩
-
A. Boltho & B. Eichengreen (2008), “The Economic Impact of European Integration”, CEPR Discussion Paper, n° 6820. ↩
-
B. Straathof, G.-J. Linders, A. Lejour & J. Möhlmann (2008), “The Internal Market and the Dutch Economy”, CPB Document n° 168, 90 p. ↩
-
Jean, S., Perrot, A. and Philippon, T., 2019. Concurrence et commerce : quelles politiques pour l’Europe ?. Notes du conseil d’analyse économique, (3), pp.1–12. ↩
-
The Economist. 2016. ‘The Mundell-Fleming trilemma’. Mis à jour le 27 août 2016. ↩
-
Krugman, P., 2013. Revenge of the optimum currency area. NBER Macroeconomics Annual, 27(1), pp.439–448. ↩